"Le nouveau mandat présidentiel : l’Etat ou la table de dialogue" par Charbel Nahas



"Le nouveau mandat présidentiel : l’Etat ou la table de dialogue" est une analyse juste et pertinente rédigée par Charbel Nahas, Secrétaire général du mouvement "Citoyens et citoyennes dans un Etat", que j’ai le plaisir de publier aujourd’hui. 

Qui ne connaît pas Charbel Nahas ? Polytechnicien, deux fois ministre – des Télécoms puis du Travail, membre éminent de la société civile, il est considéré par de nombreux jeunes libanais comme le père du mouvement populaire qui a secoué le Liban en 2015. Homme d’Etat d’une intégrité sans faille, contestataire dans l’âme, il a été écarté du gouvernement de Najib Mikati en 2012 parce qu’il refusait les petits arrangements douteux dont la classe politique libanaise a le secret. Son analyse est un éclairage indispensable pour comprendre la situation actuelle et les défis du nouveau mandant présidentiel.

Le nouveau mandat présidentiel : l’Etat ou la table de dialogue

Les parlementaires qui avaient prorogé par deux fois leur propre mandat ont élu, lundi 31 octobre, le Général Michel Aoun président de la République.

Cet événement qui paraissait impossible, il y a peu, appelle une lecture minutieuse 1) des raisons de sa réalisation, puis 2) de son déroulement et enfin 3) des horizons qui se dessinent par la suite.

Le point de départ de notre lecture de la situation

Avant de procéder à cet exercice, nous devons rappeler que nous ne nous positionnons pas, dans le mouvement « Citoyens et Citoyennes dans un Etat », comme des observateurs et des analystes, mais comme partie prenante de la scène politique et que notre objectif est clair : construire un Etat laïque, démocratique, juste et efficace, parce que nous croyons que cet Etat est une nécessité fonctionnelle pour défendre une société en danger.

Notre analyse part du constat que le pays traverse une phase de transition dont les prémices sont apparues en 2005, et qui s’est pleinement révélée au cours des cinq dernières années : à travers l’effondrement, l’un après l’autre, des cadres formels du quasi-Etat instauré après la guerre civile, sur la base d’un pacte entre les milices et le capital rentier, l’ensemble étant régulé par un arbitre mandaté par les sponsors externes. L’effondrement des cadres formels du quasi-Etat et l’incapacité des autorités exécutives, législatives et judiciaires, à assurer leur rôle naturel se sont traduits par la vacance de postes administratifs essentiels et par la perte de légitimité des pouvoirs restés en place. Aussi de nouveaux usages et de nouveaux instruments du pouvoir se sont de fait installés, le plus connu étant la « table de dialogue».

Nous avons aussi identifié les risques que cette période transitoire comporte, que ce soit le dérapage vers la violence civile ou le glissement vers un accord entre les « zaïms » (chefs) du fait accompli organisant la reconnaissance mutuelle de la légitimité de leur représentativité exclusive et absolue chacun de sa « communauté » et la définition du système de leurs droits de veto réciproques, suivant une échelle convenue des pouvoirs et des enjeux, produisant ainsi les règles d’un nouveau pouvoir inefficace et impotent. Nous n’avons jamais cru que l’affrontement entre les deux prétendus axes du 8 et du 14 mars constituait une clé utile pour comprendre le déroulement des faits sur la scène libanaise.

Où se situe le nouvel évènement par rapport à ce constat ?

Les raisons de la tenue de l’élection : l’arrangement externe

Beaucoup ont dit que l’élection était une « production libanaise ». En effet, les cuisines étrangères ne semblent pas avoir concocté sa maturation pour appeler ensuite l’ensemble des partis nationaux à l’adopter à l’unanimité et avec enthousiasme, comme cela s’était produit pour toutes les élections précédentes depuis 1989.

Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit un produit libanais ; sinon comment expliquer qu’il ait fallu attendre deux ans et demi de vacance présidentielle ? Et sa survenue annonce-t-elle la fin de la phase transitoire et la stabilisation du système politique ? Et alors, selon quelles règles ?

Pour éclairer le cheminement, il faut revisiter la période précédente, et s’arrêter sur deux évènements quasi-simultanés, qui ont eu lieu au milieu de l’été 2015, pendant que la crise des déchets soulevait les Libanais contre les symboles du pouvoir.

Le premier événement, qui est bien « libanais », est l’annonce d’une « feuille d’intentions » entre les Forces libanaises et le Courant patriotique libre en juin 2015.

Le deuxième événement est la nomination de Soleiman Frangieh pour la présidentielle par le Courant du Futur et, avec lui, par Amal, le Parti socialiste progressiste, ainsi que par les autres pôles du pouvoir, au terme d’un arrangement régional et international clair, annoncé en novembre 2015.

Cette évolution remarquable ressemble en tout point à l’accord sur la nomination de Tammam Salam à la tête du gouvernement en avril 2013, et son acceptation par la coalition du « 8 mars », parce qu’elle limitait ses pertes à un moment où la confrontation en Syrie penchait en faveur de l’axe américano-turco-saoudien, et qu’elle permettait de calmer le jeu en prévision du départ de Michel Soleiman sans possibilité de proroger son mandat ni de convenir d’un successeur. La nomination de Soleiman Frangieh, sans doute l’homme politique libanais le plus proche de Bachar El Assad, était à son tour un gel, au moins momentané, de la scène libanaise, qui a été accepté par la coalition du 14 mars, à un moment où le rapport des forces sur le théâtre syrien penchait quelque peu en faveur de l’axe irano-russe, et dans l’attente que l’issue finale du conflit régional soit élucidée.

De pareils revirements n’arrivent que du fait de considérations sécuritaires et politiques étrangères, et par des décisions auxquelles participent les Etats Unis, les principaux Etats européens et la Russie; des décisions que l’Arabie Saoudite et la Syrie ont acceptées (sans véto de la part de l’Iran qui était engagé dans le processus de l’accord sur le nucléaire entre avril et juillet 2015) parce qu’elles considèrent que l’issue de l’affrontement régional, notamment sur la scène syrienne, déterminera dans tous les cas la situation libanaise. L’ensemble des membres traditionnels du pouvoir ont rejoint le mouvement, parce qu’ils sont directement liés aux différents acteurs du conflit régional mais aussi parce qu’ils ont reconnu qu’une confrontation ouverte sur la scène libanaise était à haut risque et sans effet déterminant ; ils se sont appliqués à peaufiner les détails qui les concernaient, que ce soit la composition du gouvernement ou les résultats attendus des élections législatives si elles devaient se tenir ou encore la distribution des projets et des bénéfices, ainsi que tous les autres points de leur ordre du jour habituel.

Les raisons de la tenue de l’élection : l’arrangement externe provoque un conflit interne

Les « cuisiniers » acteurs extérieurs n’ont pas réalisé les répercussions que leur proposition allait engendrer sur la scène interne et n’en ont pas anticipé les interférences avec leur dessein. L’agitation de la phase transitoire et la diminution des ressources financières étrangères avaient déjà gravement affaibli les membres du pouvoir. Cet affaiblissement, que les mouvements de protestation populaire avaient révélé au grand jour, les avait par ailleurs poussés à une voracité et à une insolence accrues dans l’accaparement de bénéfices de plus en plus importants à partir d’un gâteau qui se réduisait.

Ces développements ont sérieusement dérangé le Courant patriotique libre (CPL) et les Forces libanaises (FL) qui occupent une place marginale dans la structure du pouvoir et qui, de par leur position aux franges du système de pouvoir, subissent le discrédit qui les touche sans bénéficier réellement de ses avantages. Les FL avaient renoncé à participer au gouvernement de Salam et le CPL s’est efforcé de se démarquer des partenaires classiques du pouvoir lors des manifestations de l’été 2015, face aux scandales des déchets.

Dès que les prémices du revirement « étranger » ont commencé à se manifester, le ressentiment des nouveaux venus sur la scène du pouvoir, encore en situation de faiblesse, notamment les Forces libanaise et le Courant patriotique libre, s’est exacerbé ; la cooptation de Soleiman Frangieh ne les avait pas seulement pris par surprise mais leur paraissait aussi injustifiée : sa base populaire, en particulier auprès de la communauté maronite, était bien plus étroite que la leur et de plus sa proximité avec le président syrien était excessive.

Le revirement externe a aussi embarrassé le Hezbollah, d’abord du fait de sa promesse d’appuyer le Général Aoun, à un moment où le parti est particulièrement soucieux de préserver sa crédibilité envers son public et ses combattants, et ensuite du fait du besoin qu’il éprouve de préserver l’appui le plus large au Liban pour éviter de se retrouver isolé dans les limites de la communauté chiite, au moment où il mène les affrontements les plus violents sur la scène syrienne. Tout cela alors que le parti, en raison de son rôle sur la scène régionale, dispose d’un poids relatif auprès de l’Iran qui dépasse de loin celui des autres parties auprès de leurs sponsors respectifs ainsi que d’un poids majeur sur la scène syrienne et envers le président Bachar El Assad.

La « feuille d’intentions » entre le Courant patriotique libre et les Forces libanaises a constitué un premier pas pour faire face à l’aggravation du déséquilibre interne du pouvoir ; elle a été concomitante des préparatifs de l’arrangement régional. Mais la nomination de Frangieh a fait passer l’accord du stade de la symbolique et de l’apaisement des troupes à celui de l’alliance, car les deux partis ont pris conscience de leur mise à l’écart du nouvel arrangement, à un moment où le renforcement de la confessionnalisation du système les poussait à juger que la part des « maronites » ne pouvait être confiée à Frangieh, considéré comme partenaire de la structure traditionnelle et acteur secondaire au sein de la communauté. D’où l’annonce par Geagea de son adoption de la nomination de Michel Aoun en Janvier 2016.

La période qui a séparé cette adoption des élections, soit plus de dix mois, a été nécessaire pour introduire un amendement partiel à l’arrangement décidé internationalement et régionalement : changer le nom du représentant du camp adverse à l’Arabie Saoudite et le substituer à Soleiman Frangieh ; changement mineur dans la perspective externe. Mais changement majeur du point de vue intérieur puisqu’il remplace un membre historique de la structure du pouvoir par un nouveau-venu. Ainsi l’axe de l’agenda politique s’est-il déplacé de la contradiction régionale, après que l’accord survenu il y a un an l’eut apaisée sur la scène locale, vers la contradiction interne qui était jusque-là latente mais qui n’en est pas moins sérieuse. De là les discours sur « que Dieu nous protège », et « le pire nous attend », etc.., menaçant d’un glissement vers la violence, mais aussi l’insistance sur le « panier » des solutions, dans une tentative des partis traditionnels au pouvoir pour clore rapidement la phase transitoire, conformément à leurs intérêts, et éviter l’«inconnu ».

Le déroulement de l’élection et ses significations

Ce changement a éclipsé le mythe de l’affrontement cosmique du 8 et du 14 mars et a donné la prééminence à un nouveau clivage, particulièrement clair, entre deux blocs : celui des anciens qui ont constitué depuis le début des années 90 le cœur du pouvoir politique et s’en sont partagé les avantages et celui des nouveaux-venus, qui auparavant, volontairement ou par force, étaient exclus du paradis du pouvoir et qui essaient depuis 2005 d’y accéder. Nous avions déjà exprimé à plusieurs reprises notre conviction que la ligne de front ne se situait pas entre les « idées » de 8 mars et celles de 14 mars, mais entre ceux qui tiennent les rênes du pouvoir politique (Nabih Berri, Fouad El Sanioura, Walid Joumblatt, Michel El Murr, Soleiman Frangieh, les partis Baath et Social nationaliste syrien …) et ceux qui, pour des raisons et du fait de circonstances diverses (Saad El Hariri, Nouhad El Machnouk, Michel Aoun, Samir Geagea, Hezbollah…), en étaient exclus et qui tentent depuis 2005 de s’y positionner.

Ce que l’élection a démontré, sous les regards des Libanais et de tous les ambassadeurs étrangers, confirme que la contradiction interne entre les anciens membres du pouvoir et les nouveaux-venus, même à l’intérieur du même parti politique (pour exemple le Courant du Futur), n’est pas moins forte que la contradiction régionale qui influence ces parties. Cette confrontation a pris la forme d’une mascarade organisée, d’une dérision insolente, se moquant des citoyens et surtout des citoyennes. Elle démontre, à elle seule, l’incompétence de ce groupe en plus de son illégitimité.

Les perspectives d’après l’élection

Comment sera gérée la division interne qui vient de se révéler, dès lors que l’extérieur a accepté la nouvelle situation, même sans enthousiasme ?

La clarté du clivage entre les classiques du système et les nouveaux arrivants, les résistances qui ont retardé pendant près d’un an l’annonce de l’accord, la dureté de l’affrontement politique, enfin le déroulement humiliant de la session électorale démontrent que la phase de transition n’est pas achevée. La contradiction dominante s’est déplacée, au moins provisoirement : elle n’est plus le reflet sur les parties libanaises des conflits entre leurs sponsors régionaux respectifs mais se trouve articulée sur les enjeux internes. Quand on sait, par le vécu, que l’alignement sur les axes régionaux dépendait essentiellement des intérêts que les parties locales y trouvaient (pour réaliser des avantages politiques et matériels) et que la collaboration entre les parties censément en conflit a été permanente dans la réalité dès qu’il s’agissait de préserver leurs intérêts communs, on peut présumer que ce déplacement de la confrontation rendra la mise en place d’un nouveau régime politique plus difficile et ses enjeux plus clairs.

Quels sont les enjeux de cette contradiction interne ?

Etant donné que le système politico-économique libanais repose sur l’attraction permanente de capitaux de l’étranger (le cercle financier) et la régulation de leur redistribution interne à travers des canaux publics et privés en échange de la fidélité politique des récipiendaires (le cercle politique du clientélisme confessionnel), et vu que le flux des capitaux attirés est en baisse, on peut s'attendre à ce que l’opposition entre ceux qui tiennent les canaux de redistribution (les classiques du système de pouvoir) et les nouveaux venus (le président de la République, le Premier ministre et leurs alliés) prenne une des directions suivantes :

1. Stabiliser le système et négocier avec l’équipe traditionnelle pour qu’elle réduise sa part au profit des nouveaux entrants. Cela se traduirait sans doute symboliquement par le maintien de la « table de dialogue » et la reconnaissance de son statut référentiel, par l’adoption d’un régime électoral qui préserve les positions des différentes parties, par l’oubli des irrégularités constatées dans le passé, notamment dans l’utilisation des fonds publics. Mais les concessions de l’ancienne équipe devront être compensées au détriment de ce qui reste de l’Etat. L’élection de Michel Aoun à la présidence de la République serait alors un lot de consolation ; alors que des ministères spécifiques seraient assignés à des partis politico-confessionnels comme lots de consolation aussi.

2. Stabiliser le système mais en écartant l’équipe traditionnelle des principaux postes pour y installer les agents des nouveaux arrivants (comme cela s’était passé en 1992). Cela passerait par des modifications significatives dans l’allocation des postes clés et dans le régime électoral, par une vague de nominations et par le questionnement sur des dossiers sélectionnés ; il s’ensuivrait sans doute des tensions entre les groupes politiques, voire au sein de certains d’entre eux avec la possibilité de voir certains des nouveaux arrivants s’opposer à ces confrontations.

3. Modifier le système de sorte qu’il ne repose plus sur les mêmes règles et affronter les risques de la gestion de la transition. Les nouveaux arrivants qui adopteraient cette option devront faire face à une ambiguïté essentielle : les raisons de leur force sont en même temps celles de leur faiblesse. Leur opposition au pouvoir en place a glissé vers un refus de la part que le système alloue au groupe communautaire qu’ils représentent (dans une répétition à la dérive du Mouvement des Déshérités dans les années 70 d’une exigence de changement du système socio-économique vers sa consécration et l’amendement des parts des communautés en son sein). Il leur sera donc nécessaire de se trouver des alliés parmi les forces non confessionnelles qui ne sont pas entravées dans leurs choix internes par leurs connexions étrangères.

Chacune de ces trois directions impose donc des configurations d’alliances et d’opposition différentes, nécessite l’appui de bases populaires et sociales différentes et un registre diffèrent de légitimation du discours et de l’argumentaire.

Notre position politique et les prochains jalons

L’élection du général Michel Aoun a constitué un évènement important non seulement parce qu’elle a ranimé l’espoir de faire bouger les choses chez ses partisans après un long combat, ainsi d’ailleurs qu’auprès d’un public plus large, mais aussi parce qu’elle a révélé au grand jour les articulations de la crise de l’Etat et de la citoyenneté au Liban, une fois levé le voile de la narration du 8 et du 14 mars.

L’élection du président de la République et la désignation de Saad el Hariri pour constituer le gouvernement ne signifient pas en elles-mêmes la fin de la période de transition ni n’augurent, au cas où le gouvernement est constitué et les élections législatives tenues, ce qui est loin d’être assuré, de la stabilisation du système politique sur des bases qui permettent de faire face aux risques majeurs qui menacent la société libanaise. La vacance de la présidence n’était que la manifestation de la crise et en aucune manière sa cause. L’origine de la crise est la prétention d’un groupe de leaders communautaires à une représentativité absolue et exclusive des Libanais, non pas en leur qualité de citoyens et de citoyennes dans un Etat, mais en tant que sujets dans des blocs communautaires-clientélistes, foncièrement inquiets antagonistes et naturellement poussés vers des paris extérieurs.

La situation exige de chacun d’être vigilant et de se comporter avec responsabilité, pour faire face aux déplacements forcés des populations, à l’hémorragie de l’émigration, aux dégâts matériels et moraux qui minent la société.

Le mouvement « Citoyens et citoyennes dans un Etat » estime, sur la base du diagnostic qu’il a présenté que son attitude, ainsi que celle de tous les gens sincères, vis-à-vis de la situation actuelle, dépendra de la direction que les nouveaux responsables adopteront parmi les trois directions envisageables et des positions qu’ils adopteront, au cours des prochaines semaines, sur les questions essentielles qui sont imposées par les faits. Il ne sera pas simple observateur mais présentera sa vision sur chacun de ces sujets en vue de renforcer les chances de construire un Etat laïque, démocratique, juste et efficace.

Ces questions peuvent être envisagées sous deux angles complémentaires :

Il s’agit, d’une part, de restaurer la régularité du fonctionnement des pouvoirs publics car c’est l’abandon de ces règles de fonctionnement qui a rendu les pouvoirs publics inefficaces et scandaleux et qui a inauguré la phase de transition. Dans cet ordre d’idées vient d’abord le rôle de la présidence de la République qui a longtemps été présente comme celui d’un arbitre entre des compétiteurs en dehors de toute règle normative. C’est le rôle qu’assumait, jusqu’en 2005 et par délégation des sponsors régionaux, le responsable des services de renseignement syriens. La fonction du président de la République est en réalité de veiller au respect de la constitution ; il est de ce fait responsable de la régularité constitutionnelle du fonctionnement des institutions, et il a la responsabilité d’en faire respecter les règles et de statuer sur leur hiérarchie en cas d’ambiguïté. Puis viennent le fonctionnement du Conseil des ministres, le retour sans délai au respect des règles des finances publiques, en termes d’autorisation, d’exécution et de comptabilisation, pour que l’argent public cesse d’être un pactole sans maitre, y compris la récupération des biens publics et le contrôle de l’endettement public, en termes de flux et de stock, en relation avec les politiques monétaires.

D’un point de vue réciproque, vient d’abord la crédibilité et la légitimité de la représentation politique, parce que c’est le blocage de ses mécanismes ou leur perversion flagrante qui ont fait tomber la légitimité du pouvoir et qui ont plongé le pays dans la phase de transition. Il ne s’agit pas seulement du régime électoral mais aussi de tout ce qui bâtit la conviction des Libanais et des Libanaises qu’ils ont des droits en tant que citoyens et citoyennes, la représentation politique devenant dès lors à leurs yeux le cadre, quelque imparfait qu’il soit, qui délimite ces droits et qui répartit les charges découlant de leur mise en œuvre et non plus la scène où s’évalue le poids relatif de corps communautaires-clientélistes et, par la suite, la masse des bénéfices qu’il peut accaparer ainsi que la position des chefs concurrents au sein de chacun d’eux.

La table de dialogue est le nœud emblématique, à la fois lieu de la prise des décisions, en substitut à l’ordre institutionnel de l’Etat, et instance qui prétend accaparer une représentativité absolue et exclusive des Libanais. Son existence même impose le choix entre la référence aux usages (le confessionnalisme et les « pactes » communautaires) et la référence à la constitution (le caractère civil de l’Etat) et impose, dans le second cas, d’établir la hiérarchie des dispositions constitutionnelles, entre celles relatives à l’ordre institutionnel (les fonctions et les responsabilités de l’Etat) et celles relatives à l’organisation opérationnelle des institutions (avec le glissement dans l’interprétation des responsabilités comme des prérogatives). Le meilleur exemple est le budget qui est la seule base légale pour le prélèvement des impôts, la dépense et l’endettement publics et dont le gouvernement doit impérativement soumettre le projet, annuellement et à une date définie. Est-ce à dire que la non-soumission de projets de budget par les gouvernements successifs depuis dix ans et la récente démission du gouvernement (qui n’a pas présenté de projet de budget durant trois ans) justifient de continuer à disposer de l’argent public illégalement et sans contrôle? Ne faut-il pas considérer que l’ordre institutionnel qui gouverne la disposition de l’argent public prime sur le respect des formes d’organisation qui ont alloué au gouvernement la responsabilité, et non la prérogative, de proposer le projet de budget ? Au début de 2011, en Belgique, et alors que le gouvernement était démissionnaire depuis avril 2010, le roi, en sa qualité de protecteur de la constitution et en vue d’assurer le respect des principes de l’ordre institutionnel, a unilatéralement élargi les responsabilités du gouvernement démissionnaire pour qu’il envoie le projet de budget de l’exercice de 2011 ; ce qui fut fait.

En conclusion, le mouvement "Citoyens et citoyennes dans un Etat" affirme que la position qu’il adoptera vis-à-vis de chaque proposition ou action politique dépendra de son impact sur la construction d’un Etat laïque, démocratique, juste et efficace. Nous sommes de ce fait soucieux de ne pas rater les occasions tout en restant attentifs aux risques.

Charbel Nahas
Secrétaire général du mouvement "Citoyens et citoyennes dans un Etat"