Ça va (coup de gueule matinal)


Que nos habits, nos chaussures de sport et nos smartphones soient fabriqués par des enfants en semi-esclavage, ça va. Que la planète soit empoisonnée par des conglomérats industriels, ça va. Que le monde ne soit plus dirigé que par des grands groupes financiers que personne n’a élus, ça va.

Que moins d’une dizaine d’individus possèdent autant que la moitié de l’humanité, ça va. Que des femmes soient vendues comme esclaves sexuelles sur des marchés en plein air, ça va. Que des pays soient entièrement détruits et leur population massacrée pour des raisons économiques, ça va. Qu’un continent entier, l’Afrique, soit racketté et pillé, ça va.

Que la majorité des médias soient la propriété de marchands d’armes, ça va. Que les pays riches voient leurs pauvres augmenter à vue d’œil, ça va. Qu’au 21ème siècle, des centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants souffrent encore de malnutrition ou meurent de faim, ça va. Que des nations entières n’existent que pour payer leur dette, ça va.

Que des millions d’individus, Irakiens, Syriens, Libyens, aient été assassinés et un nombre incalculable de civils jetés sur les routes parce que des dictateurs n’ont pas fait ce qu’on leur disait de faire, ça va. Que la Palestine soit occupée depuis près de 70 ans, ça va. Qu’Israël ait construit un mur de la honte séparant les uns des autres, ça va. Que l’humiliation quotidienne soit l’unique destin de peuples entiers, ça va.

Mais qu’un populiste à la coiffure douteuse ait été élu président des Etats-Unis, alors là ça ne va plus du tout ! Tout le monde se mobilise, tout se monde se scandalise, tout le monde veut descendre dans la rue et faire la révolution.

Pour toute révolution, je ne vois que des goinfres plongés dans un gigantesque pot de bonne conscience nutellisée, je n’entends que le vacarme des perroquets répétant à cors et à cris tout ce qu’on leur dit.

Si demain le sieur Trump est viré et qu’il rentre dans sa tour dorée les bras ballants, tout ce brave petit monde se calmera et rentrera chez lui, convaincu d’avoir vaincu le dragon. Et la litanie des ça va pourra continuer dans l’indifférence et le silence complice des consciences repues.

Je crois que je vais m’arrêter là, j’entends déjà la meute qui s’approche dangereusement de ma fenêtre en scandant du Paolo Coelho.

Allez, bonne journée, demain ça ira mieux.


© Claude El Khal, 2017