Marine Le Pen au Liban, ou la stature d’un éléphant dans un magasin de porcelaine


La visite de Marine Le Pen au Liban s’est déroulée avec le tact et la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle a embarrassé les uns, défié les autres et offensé presque tout le monde. Cette visite devait lui donner une stature internationale. C’est pour le moins raté.

La candidate frontiste n’a visiblement rien compris au pays du Cèdre. Ou pas grand chose. Beaucoup, dont je fais partie, ont défendu le fait qu’elle soit reçue par le Liban officiel (président de la République, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, etc.) au nom du protocole et des bonnes relations avec la France – n’avait-il pas reçu avant elle Emmanuel Macron, autre candidat à l’élection présidentielle?

Mais voilà, Marine Le Pen a pleinement profité de la proverbiale hospitalité libanaise sans avoir les mêmes égards envers ses hôtes. Et a mis, à plusieurs reprises, ses grands pieds dans le hommos.

En sortant de sa réunion avec Saad Hariri, elle a déclaré son soutien à Bachar el-Assad, embarrassant le Premier ministre en le mettant en porte-à-faux vis-à-vis de ses électeurs, majoritairement opposé au régime syrien. Et ce, à quelques mois des élections législatives.

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Ce dernier a fait preuve d’une grande courtoisie en ne lui répondant pas en public. Même le président du parti Kataeb, Samy Gemayel, qui l’a également reçue, s’est muré dans un silence embarrassé. Par contre, le chef des Forces Libanaises, Samir Geagea, n’a pas hésité à la tancer dans une déclaration sans équivoque : "On ne peut pas oublier les opérations militaires qu’il [le régime syrien] a menées [au Liban] pendant des décennies, on ne peut pas oublier les actes terroristes qu’il a commis (…) Nous disons non à Bachar et non aux islamistes".

On pouvait penser que Marine Le Pen allait essayer de recoller les morceaux. Mais dès le lendemain, elle a aggravé la situation en tournant le dos au mufti de la République, sous prétexte qu’on lui demandait de se couvrir les cheveux.

Je ne voudrais pas extrapoler, mais j’ai l’impression que cette affaire de voile a été concoctée par le mufti pour éviter le même embarras que celui infligé à Hariri. Après les propos pro-Assad de la présidente du Front National, il lui était difficile de la recevoir sans s’attirer les foudres de la rue sunnite.

Mais, au nom des convenances, il était impossible au dignitaire religieux d’annuler la rencontre. Il a fait donc parvenir à l’entourage de madame Le Pen la nécessité de se couvrir les cheveux. Espérant sans doute que cette dernière refuse et annule elle-même la visite.

Mais la candidate y a vu une opportunité de faire un coup médiatique, et s’est quand même rendue à Dar el-Fatwa, pour ensuite déclarer devant caméras et journalistes : "Je ne me voilerai pas !", avant de tourner le dos et de s’en aller. Ce qui est d’une rare impolitesse.



Même le très à droite Boulevard Voltaire, qui pourtant soutient Marine Le Pen dans sa course à l’Elysée, a été choqué par son attitude. On peut y lire : “À partir du moment où la présidente du Front national a exprimé le désir de rencontrer le grand mufti du Liban, chez lui, dans son pays, elle se devait de respecter cette règle (…) Cette attitude fait un peu désordre dans le paysage de cette première visite, d’autant plus que toute cette affaire s’est réglée mano a mano, si on peut dire, Marine Le Pen ayant ostensiblement tourné le dos à l’officiel qui lui présentait le voile, le tout dans une ambiance de palabres et de marchandages de dernière minute plus dignes d’un souk que d’une visite officielle bien organisée.”

Evidemment, l’incident a tout de suite été instrumentalisé par Florian Philippot, vive-président du FN, qui a claironné sur son compte Twitter : "Au Liban, Marine refuse de porter le voile. Un magnifique message de liberté et d'émancipation envoyé aux femmes de France et du monde".


Le plus ironique dans cette histoire c’est que Le Pen ne cesse de répéter que les étrangers qui viennent dans un pays qui n’est pas le leur se doivent de respecter les traditions dudit pays. Il faut croire que ce qui est valable pour les autres, ne l’est pas pour elle.

Le philosophe français, Michel Onfray, auteur du "Traité d'athéologie" et de "La force du sexe faible" a parfaitement résumé le problème : "Marine Le Pen veut qu'en France on respecte les règles française, elle a raison, mais au Liban on respecte les règles libanaises. Quand on est Français et qu'on est là bas on doit respecter l'ordre de l'hospitalité."


Bref, il est difficile de croire que Marine Le Pen n’ait pas été au courant du fragile équilibre politique qui régit le Liban et assure sa stabilité. Cet équilibre est le fruit d’une entente entre les courants antagonistes du 8 Mars (pro-Assad, majoritairement chiite) et 14 Mars (anti-Assad, majoritairement sunnite), et a été concrétisé par l’élection du général Michel Aoun à la présidence de la République.

Elle a pourtant agi comme si de rien n’était. En affirmant haut et fort son soutien à Bachar el-Assad, elle a autant embarrassé les uns que les autres. Ces uns et ces autres qui préfèrent mettre de côté ce point de divergence et se concentrer sur les problèmes auxquels le Liban fait face.

Marine Le Pen aurait pu s’exprimer sur ces problèmes-là, ou sur tout un tas d’autres sujets : le recul tragique de la langue française au Liban, la coopération militaire, l’aide à l’armée libanaise, la double nationalité, que sais-je encore, en évitant d’attiser les braises.

Est-il nécessaire de rappeler qu’elle n’est pas (encore?) un chef d'État, qui aurait légitimement exprimé la politique de son pays, mais une simple candidate? Le Liban officiel aurait très bien pu refuser de la recevoir. Il ne l’a pas fait et l’a accueillie. Malheureusement, elle n’a pas jugé nécessaire, en contrepartie, de respecter les règles les plus élémentaires de l’hospitalité.

Elle ne s’est pas non plus intéressée aux Libanais, ce peuple dont elle se targue d’être l’amie. Ce peuple qui subit une crise économique sans précédent, un chômage pandémique, une pauvreté galopante, et un désespoir sans cesse grandissant. Elle a préféré dîner avec de riches notables totalement acquis à sa cause, et chercher des financements pour sa campagne.

En plus, la candidate d'extrême-droite, a refusé de rencontrer la communauté française du Liban pour débattre de son programme et répondre aux questions des électeurs français et franco-libanais, comme avait fait Emmanuel Macron durant son séjour libanais.

Elle a montré le même mépris envers ses compatriotes, qu’envers les Libanais et leurs dirigeants. Dire que sa visite était un échec serait un euphémisme. Si ce voyage lui a conféré une quelconque stature, ce n’est surement pas celle d’un chef d’Etat mais celle d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Un éléphant d’une maladresse et d’une goujaterie sidérantes.


© Claude El Khal, 2017