Pour en finir avec la violence dans les manifestations


Il y a un abcès qu’on doit crever une bonne fois pour toute : la violence récurrente dans les manifestations. Hier, cette violence était très limitée et a été rapidement contenue par les manifestants.

Mais l’idée que des violences puissent avoir lieu – les images des casseurs et des affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations de 2015 sont encore bien gravées dans les esprits – a poussé bon nombre de Libanais à renoncer à descendre dans la rue.

Cette violence a trop longtemps été tolérée, voire justifiée, parfois même encouragée par certains militants de la société civile, sous prétexte de colère légitime contre l’injustice flagrante qui règne au Liban depuis trop longtemps.

Mais ce prétexte est fallacieux. Comme peuvent en témoigner toutes les images et les témoignages disponibles des manifestations de 2015, les manifestants qui étaient réellement en colère, qui hurlaient leur désespoir face à un pouvoir politique sourd, aveugle et désespérément égoïste, étaient dans leur écrasante majorité des hommes et des femmes d’âge mûr.

La colère de ces hommes et ces femmes est on ne peut plus légitime. Ils se battent tous les jours pour assurer le minimum vital à leurs enfants et à leur famille. Ils le font avec une dignité et un courage remarquables dans une société qui les écrase et les méprise.

Leur colère s’exprime devant les micros et les caméras de télévision. Ils explosent, crient, peinent parfois à trouver les mots pour traduire leur désespoir, répètent inlassablement la même incompréhension : nous sommes des êtres humains, pourquoi sommes-nous traités comme ça? Certains même, et j’en ai vu, s’éloignent de la foule pour pleurer dans un coin, essayant tant bien mal de garder le peu de dignité qui leur reste.

Mais jamais ils n’ont recours à la violence. Cette dernière est toujours le fait de très jeunes qui n’ont encore pas connu le poids écrasant des responsabilités et le chemin de croix d’une vie jonchée de frustrations et de vexations.

Ces jeunes, certains cagoulés ou masqués et d’autres non, décidés à en découdre avec les forces de l’ordre, viennent puis repartent en groupe. Ils sont organisés, jouent à chaque fois la même partition et semblent dirigés par le même chef d’orchestre invisible.

Si la violence était réellement le fruit de leur colère, pourquoi s’exprime-t-elle uniquement dans les manifestations à caractère social et revendicatif? Pourquoi ne les voit-on jamais provoquer, insulter et lancer des projectiles sur les forces de l’ordre lors de manifestations organisées par les partis politiques? La réponse se cache sans doute dans la question.

Cette violence, quelles qu’en soient les raisons, a pour effet de dissuader beaucoup de Libanais de descendre dans la rue. Elle installe un climat de peur et d’insécurité dans l’esprit de celles et ceux qui veulent exprimer leur opinion, leur revendication ou, justement, leur colère.

La liberté de manifester est un droit fondamental. Elle est inscrite dans notre Constitution et dans nos lois. Rares, très rares, sont les manifestations interdites. Cette violence est donc un obstacle à la liberté de manifester et doit être proscrite des manifestations organisées par la société civile.

Mais comment y parvenir? En portant plainte en vain contre ceux qu'on appelle communément el-moundassine (les infiltrés) après qu'ils aient commis leur méfait et gâché la manifestation, comme c'est le cas actuellement (voir la vidéo ci-dessous) ou en prenant des précautions préventives?



L’axiome de base de toute manifestation ou rassemblement populaire est le suivant : ceux qui les organisent ont la responsabilité d’assurer la sécurité des personnes qui y participent. Pour être plus précis : les organisateurs sont responsables de la sécurité interne de la manifestation, alors que les forces de l’ordre en ont la responsabilité externe.

En d’autres termes : un service d’ordre propre à la manifestation pour en filtrer l’accès et empêcher ou contenir tout débordement interne quel que soit sa forme ; et des forces de l’ordre pour empêcher toute attaque extérieure contre les manifestants ou le débordement de ces derniers vers des lieux autres que celui choisi par les organisateurs.

Une manifestation sans service d’ordre interne est, au mieux, irresponsable. Il est grand temps d’en finir avec les excuses lancées ici ou là, et que tous les organisateurs du mouvement citoyen comprennent enfin la responsabilité qui est la nôtre dans la réussite ou dans l’échec de ce mouvement, et agissent en conséquence.

Il est évidemment difficile d’assurer parfaitement la logistique d’un mouvement composé de plusieurs groupes disparates et de militants indépendants. C’est pourquoi il est urgent de créer un comité de coordination dont le but exclusif est l’organisation et le bon fonctionnement des manifestations et des rassemblements populaires.

Contrairement à ce que certains prétendent, l’organisation minutieuse et le sens des responsabilités ne sont pas des obstacles à la liberté de manifester, elles en sont les garants.


© Claude El Khal, 2017