Les questions que les journalistes auraient dû poser au président de la République


À la veille du premier anniversaire de son élection, le président de la République libanaise, le général Michel Aoun, a eu droit à un grand oral sur toutes les chaînes locales. L’initiative est excellente et il faut la saluer à juste titre. Le président a répondu avec franchise aux questions posées, et a renoué avec le Général que beaucoup de Libanais ont soutenu et aimé depuis près de 30 ans.

Malheureusement, les questions posées par les journalistes présents n’étaient pas à la hauteur de l’événement. Anecdotiques, souvent risibles, voire ridicules, ces questions ont ressassé des thèmes archi-connus dont on connaît par cœur les réponses. Leurs questions n’avaient donc aucune valeur informationnelle. Quand on pense que ces gens-là sont les directeurs de rédaction des différentes chaines libanaises, ça fait froid dans le dos.

Si ces journalistes avaient fait leur métier, voilà les questions qu’ils auraient dû poser au président.

À propos du respect de la Constitution :

- Le président de la République est le garant de la Constitution. À ce titre, pourquoi a-t-il accepté les entorses majeures à cette Constitution que sont le report des élections partielles à Tripoli et au Kesserwan et l’adoption du budget de l’État sans bilan comptable?

- Plus de 30% des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et la classe moyenne est en voie de paupérisation, et ce depuis des années. L’augmentation de la TVA creuse encore plus l’écart qu’il y a entre les plus riches et les plus démunis, qui forment la majorité du peuple libanais. Et, par conséquent, consacre l’injustice sociale comme principe de gouvernement. Pourquoi a-t-il laissé faire alors que la justice sociale est inscrite dans le préambule de la Constitution?

À propos de l’environnement :

- Ce n’est plus un secret pour personne que l’environnement au Liban est dans un état catastrophique. Manger, boire, se laver et respirer au Liban est devenu dangereux pour la santé. Quelles mesures le président et les ministres qui le représentent au gouvernement comptent-ils prendre pour résorber ce qui est désormais devenu un grave danger pour la santé publique?

- Tous les jours, des camions déversent des tonnes d’ordures dans la mer au large du dépotoir de Bourj Hammoud, en flagrante violation des lois libanaises et internationales. Et ce au su et au vu de tout le monde, notamment du ministre aouniste de l’Environnement, Tarek el-Khatib qui a visité le site à plusieurs reprises. Pourquoi le président n’a-t-il pas ordonné, comme la loi l’y autorise, la saisie et la fermeture du site en attendant de trouver une solution moins dévastatrice pour l’environnement?

À propos de la crise économique :

- Le président a déclaré qu’une compagnie internationale est en train d’étudier la situation économique du pays afin de pouvoir proposer des solutions pour sortir de la crise actuelle. Au nom de la loi sur l’information votée il y a quelques mois, quel est le nom de cette compagnie, quelles sont ses qualifications et selon quels critères a-t-elle été choisie?

- Le chômage touche désormais 30% de la population active. Ce chiffre atteint des sommets vertigineux dans certaines régions du pays, notamment au nord où près de 80% de la population est au chômage. Quel est le plan exact pour résorber ce chômage de masse et quel est son calendrier?

À propos d'éducation :

- La paupérisation croissante de la population entraine une migration des écoles privées, devenues hors de prix, vers les écoles publiques. Quel est le plan suivi par le gouvernement pour redresser l’éducation publique, et quel est son calendrier?

- Des familles entières ne peuvent plus payer les frais scolaires mirobolants des écoles privées. Des élèves sont souvent interdits de cours et humiliés par la direction de leur école parce que leurs parents ont tardé à payer les frais de scolarité. Si le président est véritablement le "père de tous",  bayy el-kell, comme l'affirme le slogan présidentiel, comment peut-il accepter cet état de fait scandaleux, et quelles mesures compte-t-il prendre pour que ça n’ait plus lieu?

À propos du droit aux soins :

- La santé au Liban est devenue un luxe. Si on ne montre pas patte blanche financière, on est tout simplement rabroué aux portes des hôpitaux privés. Vu l’état lamentable des hôpitaux publics, quelles mesures compte-t-il prendre pour faire en sorte que qu’aucun citoyen ne soit privé de soins. Et quel est le plan suivi pour développer le secteur public de la santé et quel est son calendrier?

À propos de justice :

- L'enquête destinée à faire toute la lumière sur l’affaire de l’enlèvement et de l’assassinat des soldats de l’armée libanaise par Daech et Nosra en 2014 va-t-elle aussi déterminer les responsabilités des hommes et des femmes politiques au pouvoir au moment des faits?

- L'État libanais va-t-il demander à la Syrie d'extrader Habib Chartouni, récemment condamné par contumace pour l'assassinat du président élu Bachir Gemayel?

Voilà les questions qui auraient dues être posées au chef de l’État si les journalistes présents avaient un tant soit peu fait leur métier. Il y a bien évidemment d’autres questions importantes, mais le temps imparti à l’interview était limité – entre 90 et 100 minutes, ce qui est parfaitement normal pour ce genre d’exercice.

Espérons qu'en 2018, le président de la République choisira mieux les journalistes qui vont l’interroger. Ça serait vraiment dommage qu’un tel exercice, une première au Liban, soit dans les années qui viennent aussi déplorable qu’il ne l'a été hier soir.


© Claude El Khal, 2017