L’Annonce faite à Maryam


Bien qu’étant farouchement laïc et résolument agnostique, j’ai une tendresse particulière pour les fêtes religieuses qui célèbrent la Vierge Marie – comme l’Annonciation, célébrée le 25 mars – parce qu’elles unissent chrétiens et musulmans, qui en ont bien besoin par les temps qui courent.

Malgré qu’ils se soient fait d’innombrables guerres, puis aient vécu ensemble pendant des siècles, les chrétiens et les musulmans ne savent pas grand chose de la religion de l'autre. Pas plus qu’une grande partie d’entre eux ne connaît vraiment, ni ne comprend, les enseignements de leur propre livre saint.

Combien sont chrétiens ou musulmans par choix, par conviction? Combien le sont-ils devenus après avoir étudié toutes les religions, lu tous les textes, réfléchi à toutes les prophéties, médité toutes les spiritualités? Combien ont choisi le christianisme ou l’islam parce qu’ils ont été séduits ou convaincus par la mission de Jésus ou la révélation de Mohammad?

La plupart sont chrétiens ou musulmans parce qu’ils sont nés comme ça. Ensuite ils le restent par tradition, par habitude. Chacun enfermé dans ses croyances, ignorant presque tout de la foi de l’autre. Mais l’ignorance engendre la méfiance, et la méfiance enfante souvent la haine.

Aujourd’hui, à l'heure où de nombreux pays arabes brûlent, à l'heure où le terrorisme islamiste frappe au hasard les uns et les autres, on nous reparle du choc des civilisations. Du monde judéo-chrétien qui serait en guerre contre le monde musulman. Ou inversement. La civilisation des uns face à celle des autres.

Mais c’est un mensonge, une effroyable supercherie. Ces guerres qui ensanglantent le monde ont si peu, ou pas du tout, à voir avec les religions. Et encore moins avec les civilisations qu’elles ont aidé à façonner.

Ce sont des guerres politiques, économiques. Ce sont des guerres pour le pétrole, pour le gaz, pour le fric. Ce sont des guerres d’influence entre puissances régionales et internationales. La religion n’est qu’un argument de vente, sans doute plus convaincant qu’un autre, pour faire avaler aux peuples des conflits qui ne les regardent en rien et dont ils sont les premières victimes.

C’est pourquoi il est important, essentiel même, de rappeler que le christianisme et l’islam ont beaucoup plus en commun que leurs fidèles respectifs ne le pensent. Marie, la mère de Jésus, en est l’exemple le plus lumineux.

Marie (Maryam en arabe) est une figure fondamentale autant du christianisme que de l’islam. Pour les chrétiens comme pour les musulmans, elle est la mère du Messie (el-Massih en arabe) dont la naissance virginale est contée dans le Nouveau Testament et dans le Coran.

En fait, le nom de Maryam est cité 34 fois dans le Coran, plus que dans le Nouveau Testament et bien plus que le nom du Prophète lui-même. Le livre saint de l’islam lui consacre une sourate entière, la sourate 19 : Sourat Maryam.

Elle est sans doute la femme la plus importante de la tradition islamique : "Ô Marie, certes Allah t'a élue au-dessus des femmes de la création" (Coran 3:42). D’ailleurs quand Jésus est mentionné dans le Coran, il ne l'est pas toujours par son prénom Issa ou par son titre el-Massih, mais comme Ibn Maryam, le fils de Marie : "Et Nous fîmes du fils de Marie ainsi que de sa mère, un prodige" (Coran 23:50, 21:91)

Pour celles et ceux qui l'ignorent, l’Annonciation c’est quand l’ange Gabriel a annoncé à Marie qu’elle allait porter en son sein le Messie tant attendu. Beaucoup en Occident pensent à tort que cette fête est exclusivement chrétienne, alors qu’elle est l’un des fondamentaux de l’islam.

Dans la troisième sourate du Coran (Sourat Al-Imrân, du nom de la famille de Marie), il est écrit "(Rappelle-toi) quand les Anges dirent : Ô Marie, voilà qu'Allah t'annonce une parole de Sa part : son nom sera le Messie, Jésus fils de Marie [el-Massih, Issa Ibn Maryam] illustre ici-bas comme dans l'au-delà, et l'un des rapprochés d'Allah." (Coran 3:45)

L’événement est également relaté dans la sourate de Marie (Sourat Maryam) : "Nous lui avons envoyé notre Esprit. Il se présenta devant elle sous la forme d’un homme parfait [il s’agit ici de Jibril, l’ange Gabriel]. Elle dit : Je cherche une protection contre toi, auprès du Miséricordieux, si toutefois tu crains Dieu! Il dit : Je ne suis que l’envoyé de ton Seigneur pour te donner un garçon pur. Elle dit : Comment aurais-je un garçon? Aucun mortel ne m’a jamais touchée et je ne suis pas une femme de mauvaises moeurs." Il dit : C’est ainsi, Ton Seigneur a dit : Cela m’est facile. Nous ferons de lui un Signe pour les hommes." (Coran 19:17-21)

Al-Azraqi, historien mecquois du 9ème siècle, auteur du "Livre des chroniques de la Mecque" (Kitab Akhbar Makka al-Musharrafa) a rapporté qu'après la prise de la ville par l'armée musulmane, quand le prophète Mohammad a ordonné de purifier la Kaaba des idoles, il a protégé de sa main un portrait de Marie et de Jésus : "Effacez toutes les peintures de ce mur, sauf celle-ci."

J'appelle aujourd'hui les fidèles de deux religions à célébrer les fêtes qui les unissent ou même celles qui les séparent dans le lieu de culte de l’autre. J’appelle les chrétiens à aller prier dans une mosquée, et les musulmans dans une église. Pas de ces sorties médiatiques, qui sont souvent hypocrites et démagogiques, où on se montre ouvert et tolérant pendant quelques minutes, avant de se refermer dès que les caméras sont parties. Mais une expérience personnelle, intime.

Aller à l’église ou à la mosquée du coin. Surtout ne pas cacher sa différence, son ignorance. Surtout ne pas prétendre. Et encore moins avoir peur de commettre une bévue. Se déclarer, dire aux fidèles présents : je suis chrétien, je suis musulman, je suis chrétienne, je suis musulmane, et je suis venu prier avec vous.


© Claude El Khal, 2017

Une précédente version de ce texte a été publiée en 2016