Fanfaron 1er, roi de France

Photo : Charles Platiau / AFP

Un an après son accession au trône de France, Fanfaron 1er a voulu prouver qu’il existait aussi en dehors des couvertures glamour de Paris Match. Quoi de mieux qu’une bonne petite guerre pour s’affirmer, qui mieux que le maléfique Bachar de Syrie, ennemi officiel du genre humain, pour se faire les muscles?

Courageux mais pas téméraire, Fanfaron 1er ne s’est pas rendu en personne sur le champ de bataille, chevauchant son blanc destrier, comme l’avait fait en son temps son illustre modèle, Napoléon premier du nom. Il a préféré mener sa guerre devant les caméras de télévision de son prestigieux et non moins confortable royaume.

C’est donc devant les caméras, bien au chaud dans un palais, que le monarque hexagonal a multiplié les actes de bravoure. Il a dit avoir puni le maléfique Bachar, remis à sa place le tsar Vladimir le Terrible, allié de l’infâme dictateur syrien, et dicté sa volonté au sultan Erdogan ainsi qu’au chef suprême des agents immobiliers, l’inénarrable Donald des Amériques.

"J’ai convaincu Donald de garder ses troupes en Syrie", a-t-il affirmé, "et réussi l’exploit de séparer le sultan et le tsar". Les deux journalistes en face de lui, d’habitude si turbulents, en étaient coi d’admiration. Mais voilà, le tonitruant Donald et le prétentieux Erdogan n’ont pas apprécié ces bravades télévisuelles et lui ont répondu de façon cinglante. Le premier a écarté d’un revers de main les fanfaronnades françaises et assuré que les boys rentreraient bientôt chez eux, et le second a fermement démenti avoir rompu avec son partenaire de poker syrien, Vladimir le Terrible.

Ce dernier, loin d’avoir été remis à sa place, s’est au contraire imposé encore plus en Syrie, et y a envoyé moult matériel militaire. Quant au maléfique Bachar, il ne semblait pas puni le moins du monde quand il s’est rendu à son bureau quelques heures après la fessée militaire, mallette à la main, comme si de rien n’était.

Pour couronner le tout, Fanfaron 1er voulait montrer à la terre entière ses nouveaux joujoux de guerre. Des missiles flambant neufs qu’il espère un jour vendre à prix d’or aux satrapes et potentats d’Afrique et du Moyen-Orient. Quoi de plus viril qu’un missile, ce phallus de métal qui s’élance puis explose, et fait chavirer de plaisir les amoureux transis des conflits guerriers? Malheureusement, l’un des deux symboles de la puissance masculine du monarque français a fait pschitt. Et a tout bêtement refusé de s’élancer puis d’exploser. Des pannes pareilles, ça l'a fout mal, surtout quand tout le monde regarde. Pour éviter à l’avenir une telle déconvenue, peut-être faudrait-il inventer du viagra pour missiles.

Déconsidéré par ses alliés et par ses ennemis, sa puissance et son rayonnement décatis, Fanfaron 1er a décidé de se venger. Il a concocté un plan machiavélique qui humilierait à jamais le maléfique Bachar. Il a lancé, bravache, une procédure de retrait de la Légion d’honneur de l’infâme dictateur que lui avait attribué l’un de ses prédécesseurs, quand Bachar n’était pas encore un massacreur de peuples mais un ophtalmo sympathique qui écrasait gaillardement son voisin libanais. Mais voilà-t-y pas que l’autocrate syrien se saisit de l’occasion et renvoie lui-même sa Légion d’honneur, accompagnée d’un message perfide qui décrit l’homme qui se voulait maître des dieux en esclave du gros Donald.

Frustré, ses ambitions de héros du monde libre, de Prince Vaillant de la Démocratie et des Lumières, de Jeanne d’Arc des temps modernes, complètement laminées, Fanfaron 1er a jeté son dévolu sur son propre royaume et son propre peuple. Quitte à casser quelque chose quelque part, s’est-il dit, je vais détruire le service public français, ce truc qui coûte cher et ne sert qu’aux gueux et aux gens de rien.

Mais on dit que les gueux et les gens de rien ne vont pas se laisser faire. Des manifestations se forment déjà dans tout le royaume. La colère gronde. Des effigies royales et princières sont brûlées en place publique. Certains chuchotent même qu’une révolution se prépare. Si c'est le cas, il ne restera bientôt plus à Fanfaron 1er que de retourner aux couvertures de Paris Match, le seul endroit où il pourra encore vraiment exister.


© Claude El Khal, 2018