L'influence perdue de la France au Moyen-Orient

Photo : Benoit Tessier / Reuters

En accueillant la conférence internationale de soutien à l’économie libanaise, qui s’est tenue à Paris le vendredi 6 avril, la France cherche-t-elle à retrouver son rôle de "tendre mère" du Liban  comme aiment encore à l’appeler les nostalgiques d’une époque révolue où le pays des cèdres était sous mandat français? Ou bien cherche-t-elle, à travers le Liban, à revenir sur la scène moyen-orientale où son influence s’est considérablement affaiblie?

Quelques jours plus tôt, selon le quotidien turc pro-gouvernemental Daily Sabah, Emmanuel Macron a tenté d'imposer sa présence au sommet d’Ankara où les présidents turc, iranien et russe se sont rencontrés pour évoquer la guerre en Syrie. Mais face au refus catégorique de l’Iran, la France est restée sur le banc de touche.

Un mois auparavant, le président français s’était entretenu par téléphone avec son homologue iranien Hassan Rohani. Selon l'Élysée, Emmanuel Macron "a fortement engagé son interlocuteur à exercer les pressions nécessaires sur le régime syrien pour mettre un terme aux attaques indiscriminées contre les populations assiégées de la Ghouta orientale". Et a souligné "l'attente d’une contribution constructive de l’Iran à la désescalade régionale et à la résolution des crises au Moyen-Orient."

La réponse de Hassan Rohani a été cinglante. Selon un compte rendu officiel iranien, il aurait rétorqué : "Au Yémen, nous sommes témoins de crimes de guerre, et les pays qui fournissent des armes à l'Arabie Saoudite et à la coalition arabe doivent rendre des comptes à cet égard."

Pour Téhéran, la posture humanitaire de la France sur la Syrie, alors qu’elle vend des armes au gouvernement saoudien et participe ainsi à la guerre au Yémen, ne passe visiblement pas.

De plus, l'agressivité méprisante du président turc, Recep Tayyip Erdogan, qui ne perd pas une occasion d'invectiver et de menacer la France, montre que le prestige hexagonal au Moyen-Orient n’est décidément plus ce qu’il était.

Il est bien loin le temps où c’est à partir de Paris que Yasser Arafat déclarait que la charte de l’OLP, qui préconisait la destruction d’Israël, était "caduque".





Il est bien loin le temps où la France s’opposait avec force à la guerre contre l’Irak. Il est bien loin le temps où un président français en visite à Jérusalem s’insurgeait contre le mauvais traitement des Palestiniens et menaçait les services de sécurité israéliens d’un "incident diplomatique".





Quel contraste avec cet autre président français, François Hollande, qui déclarait à la table de Benyamin Netanyahu, son "amour d’Israël et de ses dirigeants".




Quel contraste aussi avec son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, qui se faisait humilier par Vladimir Poutine. Quel chef d’État au monde aurait osé faire la même chose avec François Mitterrand ou Jacques Chirac?




Que s’est-il passé? Pourquoi la France a-t-elle tant perdu de son prestige et de son influence dans le monde et au Moyen-Orient – une région qu’elle a pourtant aidé à façonner?

Le déclin a commencé quand Nicolas Sarkozy, après son élection à la présidence de la République, a abandonné la fameuse "politique arabe de la France", fixée par le Général De Gaulle et poursuivie par ses successeurs. Une politique équilibrée entre les pays arabes et Israël. Une politique indépendante des États-Unis. Bref, une politique de grande puissance.

Nicolas Sarkozy a réintégré la France à l'Otan et s’est totalement aligné sur la politique américaine, devenant même son instrument. La guerre menée contre le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, avec pour résultat la destruction de la Libye, en est une parfaite illustration.

François Hollande, quant à lui, a été beaucoup plus loin. Le président socialiste a non seulement poursuivi la politique atlantiste de son prédécesseur mais s’est également aligné sur la politique du gouvernement israélien de droite et d’extrême droite de Benyamin Netanyahu.

En Syrie, sa diplomatie a oscillé entre le jusqu’auboutisme de Laurent Fabius qui affirmait que le président syrien Bachar el-Assad "ne mériterait pas d’être sur la terre" et l’incompétence de Jean-Marc Ayrault qui déclarait en 2016 que les troupes de Saddam Hussein encerclaient Alep!





L’abîme diplomatique a été atteint quand François Hollande a voulu entrer en guerre contre le gouvernement de Bachar el-Assad mais a été forcé d’y renoncer après la reculade de Barack Obama et le vote du Parlement britannique.

Qu’en est-il aujourd’hui?

Depuis son élection, Emmanuel Macron tente de redorer le blason de la France et de retrouver son prestige et son influence perdus. Mais son double-jeu n’a pour l’instant guère d’effet au Moyen-Orient. D’où l'insolence de l’Iran qui a rappelé sans détour à la France l'incohérence de son discours moralisateur sur la Syrie, alors même que ses armes permettent à l’Arabie Saoudite de commettre au Yémen les pires crimes de guerre.

Bien que le président français agisse comme s'il n’était pas aligné sur la politique moyen-orientale des États-Unis – il a refusé de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël comme l’a fait Donald Trump –, il s’abstient, comme son homologue américain, de condamner la répression sanglante des manifestions à Gaza par l’armée israélienne.

Par ailleurs, il défend l’accord sur le nucléaire iranien que le président américain voudrait abroger, alors que son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, tient un discours envers l’Iran qui n’a rien à envier à ceux du locataire de la Maison Blanche.

Aujourd'hui, en recevant le prince héritier saoudien directement après son "Grand U.S. Tour" et en agitant aux côtés des États-Unis la menace de représailles militaires contre le régime de Damas, suite à l'attaque chimique présumée à Douma, Emmanuel Macron apparaît, aux yeux de nombreux acteurs régionaux et internationaux, comme un sous-fifre de la stratégie américaine au Moyen-Orient.

Cette politique ambigüe, plus médiatique que stratégique, qui dit chaque chose et son contraire, dont l'inconsistant soutien aux Kurdes de Syrie est un exemple criant, a peu de chances d’aider la France à retrouver son influence passée.

Reste le Liban.

En aout 2017, quand l’armée libanaise a lancé son offensive contre Daech, qu’elle a défait et chassé du pays, la diplomatie française s’est faite pour le moins discrète. Cette discrétion était d’autant plus incompréhensible que le Liban est un pays ami de la France et que Daech est son ennemi déclaré.

Mais, un mois plus tard, la France s’est "rattrapée" quand Emmanuel Macron a reçu en grande pompe le président libanais Michel Aoun. Puis, quand il est intervenu auprès des autorités saoudiennes pour faire libérer le Premier ministre libanais Saad Hariri retenu en Arabie Saoudite.

La semaine dernière, Paris a accueilli la conférence internationale de soutien à l’économie libanaise, commodément appelée CEDRE (Conférence Économique pour le Développement par la Réforme et les Entreprises) et a accordé au Liban plus de 500 millions de dollars en dons et en prêts.

Une bien grosse somme à l’heure où le gouvernement français multiplie les coupes budgétaires. Une somme qu’il serait naïf de croire accordée par amour du Liban. Une somme qui est en réalité un investissement dans le seul pays de la région où la France a encore une quelconque influence. Et qui peut lui servir de marchepied pour jouer à nouveau un rôle prépondérant sur l’échiquier complexe du Moyen-Orient.

Mais à la veille d'élections législatives libanaises qui devraient, selon de nombreux observateurs, aboutir à la formation d'une majorité parlementaire opposée à la politique franco-américaine ouvertement pro-israélienne et partisane de la poursuite de la guerre en Syrie, cet investissement risque d'être vain. De l'argent jeté par les fenêtres, comme dit la sagesse populaire.

Seul un changement de politique, peut-être un retour au principe d'équilibre gaullien, pourrait faire espérer à la France un regain de son influence au Moyen-Orient.


© Claude El Khal, 2018