En souvenir du 13 octobre 1990


28 ans après, cette terrible journée du samedi 13 octobre 1990 reste pour de nombreux Libanais une blessure profonde qui ne s’est jamais tout à fait refermée. Ce jour-là, l’armée d’occupation syrienne a envahi la dernière région libre qui lui résistait encore, complétant ainsi sa mainmise sur le Liban. Mainmise militaire et politique qui allait durer quinze longues années.

J'ai réuni ici des images d’archive qu’il est important de découvrir ou de redécouvrir (dont le rare témoignage de Réné Ala, ancien ambassadeur de France en poste au Liban en 1990), d'autant plus que Michel Aoun, le général rebelle d'alors, défait par l'armée syrienne puis retranché à l'ambassade de France avant de prendre le chemin de l'exil, est aujourd'hui président de la République.

La fin du printemps de Baabda

Le 12 Octobre 1990, en fin d'après midi, un tireur caché parmi la foule présente dans la cour du palais présidentiel de Baabda tente assassiner le général Aoun. ll manque de peu sa cible et est rapidement maîtrisé par des soldats de l'armée. En début de soirée, le Général s'adresse à ses partisans et leur demande de rentrer calmement chez eux parce que les bombardements avaient repris sur les divers fronts. Ce qu'on appelait le "printemps de Baabda" vivait ses dernières heures.

Le 13 octobre au matin, peu avant 7 heures, l'offensive syrienne est lancée. Elle est d'une violence inouïe et sera suivie du massacre d'unités entières de l'armée libanaise et de très nombreux civils. L'idée d'un Liban libre, souverain et démocratique a été écrasée dans le sang.






Dany, Ingrid, Tarek et Julian 


Comment se souvenir du 13 Octobre 1990 sans évoquer l’une de ses plus terribles conséquences : l’assassinat effroyable de Dany Chamoun, de sa femme Ingrid et de ses enfants Tarek et Julian, quelques jours après l’invasion syrienne des régions libres.

Dany Chamoun était un peu le Kennedy libanais, héritier de la dynastie politique fondée par son père Camille Chamoun, ancien président de la République libanaise de 1952 a 1958. Bel homme, charmeur, extrêmement populaire, Dany – comme l’appellent affectueusement les Libanais – commence sa carrière politique comme chef de la milice du Parti National Libéral (PNL), les Noumour el-Ahrar, avant de renoncer à la lutte armée.

A la fin des années 80, il soutient le gouvernement de transition dirigé par le général Aoun et s’engage à ses côtés lors de "la guerre de libération" puis celle dite "inter-chrétienne" qui opposa l’armée libanaise et la milice des Forces Libanaises dirigée par Samir Geagea.

Après l’invasion syrienne du 13 Octobre et la chute du Général, Dany refuse de quitter le Liban. Il sera brutalement assassiné le 21 Octobre avec sa femme Ingrid et deux de ses enfants, Takek (7 ans) et Julien (5 ans). Seule Tamara, encore bébé, échappera par miracle aux meurtriers. Le règne de la terreur avait commencé.





Je n’oublierai jamais le 13 Octobre 1990


Quant à moi, Je n’oublierai jamais le 13 Octobre 1990. Je n’oublierai jamais les avions syriens qui lançaient leurs missiles sur les dernières régions libres du Liban. Je n’oublierai jamais la terreur des femmes, des hommes et des enfants sous le feu aveugle des canons du régime baassiste et de ses alliés. Je n’oublierai jamais les larmes des pères, des mères, des fils et des filles au moment de la reddition.

Je n’oublierai jamais les soldats de l’armée libanaise massacrés alors qu’ils étaient prisonniers. Je n’oublierai jamais le silence de mort qui a accompagné l’entrée des troupes syriennes à Baabda. Je n’oublierai jamais les tirs de joie de la soldatesque d’occupation quand l’invasion fut achevée.

Je n’oublierai jamais que tout ça s’est passé avec la bénédiction du monde entier, de ceux qui veulent aujourd’hui abattre le régime syrien, ceux qui le décrivent depuis si peu comme criminel et barbare : les Etats-Unis, l’Europe, la France, la Ligue Arabe, les monarchies du Golfe, la Turquie… Même l’Iran et Israël étaient à l’unisson.

Je n’oublierai jamais les heures noires de ce jour funeste et la nuit sans étoiles qui s’est abattue sur nous. Je n’oublierai jamais les quinze ans qui ont suivis. Quinze ans de répression, de pillage organisé, de corruption institutionnalisée. Je n’oublierai jamais la peur, la rage, la tristesse, la mort. Non, je n’oublierai jamais le 13 Octobre 1990.


© Claude El Khal, 2018