La tentative de récupération ratée du soulèvement populaire au Liban

Photo: Ali Hashicho / Reuters

Y a-t-il une tentative de récupération du soulèvement populaire qui secoue le Liban depuis une dizaine de jours, afin de le détourner de ses objectifs premiers et l’utiliser à des fins politiques douteuses? Évidemment. Ceux qui ne s’y attendaient pas sont d’une naïveté confondante.

Et ceux qui pensent que les pays étrangers (quels qu’ils soient) qui se mêlent sans cesse des affaires intérieures libanaises allaient se borner à regarder à la télé cet extraordinaire élan national en grignotant des pop-corn, sans chercher à en profiter, devraient immédiatement rentrer se coucher, non sans avoir revu auparavant l’intégrale du dessin animé Les Bisounours.

Mais "tentative" ne veut pas dire que cette récupération a réussi. Et pour l’instant, il est clair qu’elle a échoué. Et de la plus belle façon. Malgré les efforts et les moyens considérables déployés.

Quelques exemples:

Walid Phares, politicien néoconservateur libano-américain bien connu et fan inconditionnel d’Israël, a beau imiter son Trump de patron et tweeter avec furie son prétendu soutien à "la révolution libanaise", il ne trouve aucun écho dans la rue. Bien au contraire, il est largement dénoncé sur les réseaux sociaux, souvent en des termes peu élogieux.

Chebli Mallat, pro-israélien notoire et ancien candidat à la présidence de la République libanaise (ne riez pas!) a eu beau apparaitre sur notre écran télé comme un diable sorti de sa boite et raconter les pires inepties, son influence au Liban reste aussi importante que celle de mon voisin de palier sur la fonte des glaces au Groenland. À part quelques précieux ridicules qui en ont fait un héros pendant une heure ou deux, son écho dans la rue est inexistant. Et il fut dénoncé avec la même virulence que Walid Phares.

Un logo léché, très "Révolution du Cèdre", a beau avoir été créé, personne ne l’utilise à part une dizaine de personnes proches de ses créateurs. Et même si une importante chaîne de télé locale a tenté de l’imposer en l’utilisant comme fond de décor, son effort fut un échec retentissant.

Il ne faut cependant pas se leurrer, le but de cette récupération est de détourner le soulèvement populaire de ses revendications légitimes et de monter les Libanais les uns contre les autres pour semer le chaos dans le pays. Ce fameux Constructive Chaos, si cher aux néoconservateurs US.

Mais voilà.

Ils ont voulu que la rue fustige et injurie une partie de la classe politique libanaise au détriment d’une autre, mais les manifestants ont banni les slogans et les chants injurieux.

Ils ont voulu que leurs alliés libanais (je dis alliés pour être poli) deviennent les porte-paroles du soulèvement, mais les manifestant les ont chassés comme des malpropres. Et les voilà obligé d’organiser leurs propres rassemblements en solitaires, où viennent hurler deux pelés et trois tondus.

Ils ont voulu empêcher les Libanais de se parler en imposant partout de la musique à plein tube, mais les manifestants ont transformé les places publiques en agora géantes.

La liste de leurs échecs est très longue pour en faire ici l’inventaire complet.

Les Libanais ne veulent plus se battre les uns contre les autres. Les guerres, ils en ont soupé. Les divisions 14 Mars contre 8 Mars, chrétiens contre musulmans, chiites contre sunnites, ils n’en veulent plus. Ils se sont déclarés en peuple uni et indivisible, qui veut vivre en paix, dans la fraternité et la dignité.

Alors, que reste-t-il de cette tentative de récupération?

Des moyens importants mis à la disposition des manifestants pour chanter, danser et éventuellement s’exprimer? Formidable. Ça nous évitera d’y aller de notre poche. Des sandwiches, des mana2iches, et des boissons gratuites? Super. La majorité des manifestants sont pauvres, et toute cette gratuité est la bienvenue. Des toilettes publiques ouvertes à tous? Why not. Ça évitera de salir les rues.

Bref, si nous pouvons profiter des récupérateurs sans les laisser profiter de nous, tant mieux. Que les riches payent pour que les pauvres manifestent! C’est un début de redistribution des richesses!

Par contre, si après avoir lamentablement échoué, ils cherchent à créer le chaos en organisant des violences ou des attentats, les services libanais de sécurité sont priés de les traiter avec la plus grande sévérité. Nous sommes sous leur protection et leur faisons confiance pour nous protéger et protéger le Liban de ces gens-là.

Personnellement, j’observe avec jubilation le zèle "révolutionnaire" de certains bourgeois néoconservateurs qui courent dans tous les sens comme des headless chicken pour se donner des airs guévaristes. Je ris à gorge déployée en lisant les textes de la bourgeoisie snobinarde beyrouthine qui se la joue théoricienne de la révolution. Tout ça est aussi savoureux qu’un sitcom ricain réussi, plus comique encore que Friends et Seinfeld réunis.


© Claude El Khal, 2019