Chroniques de la Révolution libanaise (vol.1): Nous vivions mieux pendant la guerre

Street Art: Roula Abdo

Les Chroniques de la Révolution libanaise sont la suite du journal en 7 volumes publié ici, qui raconte au jour le jour le soulèvement populaire qui secoue le Liban depuis le 17 octobre 2019.

Ces chroniques, dont le premier volume couvre la période du 10 au 26 janvier 2020, permettront je l’espère de mieux comprendre l’évolution de ce soulèvement et sa difficile mutation en révolution.


10 janvier: Terrible constat

Nous vivions mieux pendant la guerre.

Cette phrase terrible, on l’entend désormais partout au Liban.

Elle révèle l’échec abyssal de la politique économique d’après-guerre. Une politique qui a institutionnalisé la corruption. Qui a détruit le peu de services publics qui existaient. Qui a ruiné la production et l’agriculture locales. Qui a transformé les enfants du Liban en produits qu’on exporte pour qu’ils envoient des devises au pays.

Cette politique a transformé la République en "super night-club" géant, où tout est à vendre, la terre, la mer, les hommes et les femmes. Et a transformé un peuple déchiré, décimé, par quinze ans de guerres et d’occupations étrangères, en serviteurs d’une caste sans scrupules et sans principes.

C’est avant tout cette politique économique qu’il faut changer, fondamentalement, pour espérer un jour devenir véritablement la nation formidable, étonnante, qui s’est découverte un certain 17 octobre et qui continue courageusement à se construire, pierre après pierre, malgré les obstacles, les dérives, les déceptions, et la caste sans scrupules et sans principes qui refuse de lâcher prise, quitte à couler le pays.

Si la première étape du soulèvement a réussi (le pays ne pourra plus jamais être gouverné comme il le fut de 1992 jusqu’au 17 octobre 2019), la seconde étape doit le voir se transformer en révolution.

Cette révolution, loin des slogans faciles et des démagogies, se traduira avant toute chose par une transformation structurelle de l’économie libanaise. Le pays rentier et exportateur de sa force de travail doit devenir un pays productif où sa force de travail est au service de son peuple.

Les Libanais ont brillé partout où ils ont été. Imaginez s’ils se mettaient à briller ici. Imaginez la lumière qui émanerait du pays. Imaginez le rayonnement du Liban.

Cette transformation, pour réussir, devra être immanquablement accompagnée par un processus judiciaire qui nettoiera progressivement le pays de ses corrupteurs et de ses corrompus.

Notre bataille pour ce début d’année, la voilà. Elle n’est pas politique, au sens politicien du terme. Elle ne se jouera pas sur tel ou tel nom à tel ou tel ministère, ni sur telle ou telle personne élue députée de telle ou telle région. Elle se jouera sur un terrain pour l’instant vierge. Là où nulle vraie bataille n’a eu lieu, où jamais ne fut vraiment contestée la direction suivie jusqu’à aujourd’hui.

Ce terrain sera celui de la vision économique pour l’avenir du Liban et des Libanais.

Mais aussi, et en parallèle, dans les tribunaux où devront comparaître toutes celles et ceux qui nous ont mené au naufrage.


12 janvier: Le véritable pouvoir

Réfléchissons un peu (et mettons de côté les populismes et les fantasmes)

Dans l’histoire contemporaine du Liban, jamais un parti politique n’a eu autant de pouvoir officiel que le CPL: la présidence de la République, le tiers du gouvernement et le plus grand bloc parlementaire.

Pourtant, du pouvoir réel il n’en a que très peu.

Quant au Hezb, allié du CPL, dont l’arsenal terrifie Israël et empêche les faucons ricains de dormir, il n’a pas vraiment plus de pouvoir réel que son allié orangiste, et doit sans cesse composer pour arriver à n’importe quelle décision de politique nationale.

Si la magistrature suprême, un très grand nombre de ministres, un encore plus grand nombre de députés et un arsenal impressionnant ne permettent pas d’exercer véritablement le pouvoir, alors il nous faut nous interroger sur la source du pouvoir réel au Liban.

On nous dit, pour nous endormir, que ce manque de pouvoir des uns et des autres est dû au système confessionnel et à la fameuse démocratie consensuelle qui en découle.

Mais rien n’est plus faux.

Avant que Saad ne décide de jouer solo, son alliance directe avec le CPL et indirecte avec le Hezb aurait dû, en toute logique, assurer à ce triumvirat un pouvoir quasi-absolu. Mais ce ne fut pourtant pas le cas.

En réalité, le seul pouvoir qu’ont les politiques, qu’ils soient armés ou désarmés, est de se partager le gâteau étatique. Et, s’ils le veulent, de s’enrichir sur le dos des Libanais.

C’est tout.

Alors où est le pouvoir réel? Entre quelles mains est-il?

Pour le savoir, il n’y qu’à observer ce qu’en toute impunité et dans l’illégalité la plus complète, les banques font subir à leurs déposants, et leur traitement scandaleusement déséquilibré des riches politiciens et businessmen d’un côté et des citoyens "normaux" de l’autre.

Sans parler du marché noir des changeurs, constamment approvisionnés en dollars alors que les succursales bancaires disent en manquer cruellement.

Observez aussi l’inaction, voire l’impuissance, des institutions étatiques et des pouvoirs politique et judiciaire face à ce qu’il convient d’appeler une escroquerie nationale.

Même si vous êtes nuls en calcul, vous savez que 1+1=2.

Le pouvoir réel au Liban n’est ni au gouvernement ni au parlement. Encore moins à Baabda, à Ain el-Tineh, au Sérail, ou même à Dahiyé. Il n’est pas non plus, comme l’imaginent certains, à Bkerké ou Dar el-Fatwa.

Il n’est ni chrétien ni musulman. Ni maronite, ni orthodoxe, ni sunnite, ni chiite, ni druze. Il n’est ni jaune, ni orange, ni bleu, ni rouge, ni blanc.

Le pouvoir réel au Liban a une seule couleur: celle du dollar, et un seul temple: la banque.


15 janvier, matin: Une colère justifiée

Combien de dizaines de milliards de dollars d’intérêt sur la dette publique ont touché les banques depuis près de 30 ans?

Et ces milliards, ne sont-ils pas payés avec l’argent public, votre argent, notre argent?

Quant à la dette publique, colossale, abyssale, totalement injustifiée par rapport à l’investissement dans l’infrastructure du pays, n’est-elle pas le résultat de la corruption institutionnalisée?

Cette dette publique n’est-elle pas aussi l’une des premières causes du flingage de l’économie libanaise et de l’appauvrissement des Libanais?

Et la corruption institutionnalisée qui a vidé les caisses de l’État que les banques ont constamment renflouées, n’est-elle pas un hold-up organisé et ceux qui y ont participé ne sont-ils pas complices?

Et ces banques complices, ne sont-elles pas aujourd’hui les mêmes qui imposent des restrictions drastiques de retrait à leurs déposants, tout en réclamant sans honte le moindre dollar qui leur est dû par des citoyens ruinés?

Alors oui, la colère contre les banques est totalement justifiée, même si toute forme de violence doit être par principe condamnée.


15 janvier, après-midi: Les sangsues de la révolution

La thawra ne doit pas être structurée, disent-ils, alors qu’il y a clairement une organisation non-déclarée.

La thawra ne doit pas avoir de leaders ou de représentants, répètent-ils, alors qu’il y a indéniablement des décideurs non-déclarés.

Pour savoir qui sont ces gens qui s’organisent et décident pour nous tous, sans évidemment nous consulter, il n’y a qu’à écouter ceux qui passent à la télé et qui martèlent que la thawra ne doit pas être structurées et ne doit pas avoir de leaders ou de représentants.

Par peur vraisemblablement que si le soulèvement se structure et se choisit des représentants véritables, ils perdent l’opportunité de continuer à s’exprimer en son nom.

Tout ça avec la complicité des télés qui, vous le remarquerez, invitent toujours les mêmes personnes pour parler du soulèvement alors que la multitude ne les a jamais choisi.

Depuis les premières semaines, certains s’emploient, sous des prétextes fallacieux, à kidnapper le soulèvement et cherchent à le diriger selon leur propre agenda.

Ceux-là seront les premiers à déclarer la thawra terminée quand ils arriveront à leurs fins: entrer au gouvernement ou se faire élire au parlement.

La révolution naissante ne doit pas uniquement se débarrasser de la caste politico-économique, mais aussi de ces sangsues opportunistes, sosies politiques de ceux qui ont mené le pays au désastre.


18 janvier, soir: Ne rien laisser

Ils ont privatisé le centre-ville de Beyrouth.
Ils ont privatisé le parlement.
Ils ont privatisé la côte.
Ils ont privatisé le gouvernement.
Ils ont privatisé tout ce qui pouvait l’être.
Ils ont privatisé tout ce qui ne pouvait ou ne devait pas l’être.
Ils ont privatisé en dépit de la loi.
Ils ont privatisé en dépit de la Constitution.
Ils ont privatisé en dépit du peuple.
Et ils veulent continuer à privatiser.
Tout, absolument tout.
Ils ne veulent rien nous laisser.
Sauf une dette. Colossale. Monstrueuse.
Forcément publique.
Et ils nous disent: payez, payez!
Puis ils se demandent pourquoi nous sommes en colère.


18 janvier, nuit: Les vrais casseurs

Les vrais casseurs ne sont pas dans la rue.
Les vrais casseurs, les plus dangereux, les plus professionnels, sont ailleurs.
Ils sont dans les ministères.
Ils sont dans les banques.
Ils sont au parlement.
Ils sont dans les bureaux des affairistes.
Ils sont dans les villas des corrompus.
Ceux-là ne cassent pas de vitrines.
Ils cassent une économie.
Ils cassent des vies.
Ils cassent un pays.


19 janvier: Pudeurs hypocrites

C’est facile d’avoir certaines pudeurs quand ses enfants n’ont pas faim. Quand on peut les envoyer à l’étranger se créer un avenir. Quand on peut aller leur rendre visite à loisir.

C’est facile de condamner, à l’abri d’un toit solide, et d’un confort peut-être mérité. C’est facile d’accabler, c’est facile de rejeter, quand se nourrir, quand se soigner, n’est pas un luxe. Quand un simple paquet de pain, quand une petite boite de Picon, quand deux ou trois bouteilles d’eau, quand quelques billets de banque, quand une lampe qui s’allume, ne sont pas des cadeaux inespérés.

Mais vu la violence des mots utilisés par ceux qui vilipendent la foule en colère, je n’ose imaginer la violence de leurs actes si soudain leur confort venait à manquer. Si soudain leur argent s’évaporait. Si soudain à leurs enfants affamés, ils ne pouvaient offrir que leur amour. Si soudain chacun de leur lendemain devenait une souffrance.


20 janvier: Réveillons-nous!

À écouter les uns et les autres à la télé, à lire ce qui se poste et se partage sur les réseaux sociaux, on se rend compte que presque personne ne réalise vraiment la gravité de l’état économique véritable du pays et sa très rapide dégradation.

Les politiciens se disputent encore un fromage qui a dépassé depuis longtemps sa date limite de consommation. Leurs partisans s’émeuvent de violences qui ne font que commencer et qui iront en s’aggravant. Des personnes bien intentionnées ainsi que des démagogues opportunistes veulent des élections anticipées dans les plus brefs délais, c’est-à-dire 6 mois, comme si dans 6 mois il sera possible d’organiser des élections dans un pays à l’économie effondrée, en proie au chaos le plus total.

Beaucoup pensent qu’une injection de quelques milliards de dollars venus d’on ne sait où suffira à redresser la barre et éviter le naufrage, alors que cet argent sera immédiatement englouti par la dette. D’autres affirment que si on ramenait l’argent volé, tout s’arrangerait, comme si cet argent se trouvait dans un coffre quelque part, et qu’on le découvrira bientôt comme on découvre un trésor dans un roman de pirates. D’autres encore imaginent que si les vilains politiciens étaient écartés du pouvoir et remplacés par de gentils révolutionnaires, des licornes bondiraient soudain sous des arcs-en-ciel magiques.

L’effondrement économique et social (le fameux inhiyar dont tout le monde parle) n’est plus un horizon menaçant. Il a déjà commencé. Et il va être très difficile à arrêter.

Difficile mais pas impossible.

C’est pour cette raison que nous devons mettre nos désaccords de côté, aussi profonds soient-ils, et œuvrer ensemble à la SEULE chose dont le Liban a besoin aujourd’hui: un gouvernement transitoire réduit aux pouvoirs exceptionnels, c’est-à-dire législatifs, composé uniquement de personnes à même de gérer cet effondrement, à limiter ses dégâts sur la population, et à progressivement remettre l’économie à flot.

Après, nous pourrons parler d’élections. Après, nous pourrons débattre d’une nouvelle constitution. Après, nous pourrons confronter nos différentes visions du Liban. Après, nous pourrons reprendre nos éternelles disputes sur le sexe des anges et la couleur de leur halo.

Si nous ne nous réveillons pas, si nous continuons à nier la gravité et la dangerosité de la situation actuelle, si nous continuons à refuser de voir que le tissu sociétal libanais menace de s’effilocher, si nous insistons à avoir raison chacun dans son coin, prisonnier de ses certitudes et de son ego, alors ce Liban que nous prétendons tous aimer cessera d’exister.

Et nous n’aurons personne d’autre à blâmer que nous-mêmes.


22 janvier, après-midi: Indignités

Le cirque qui a accompagné la formation du gouvernement était indigne, mais représente bien l’ignominie et l’irresponsabilité de la classe politique libanaise.

Pour cette raison, il ne faut absolument pas accorder une période de grâce à ce nouveau gouvernement. Bien au contraire, il faut accentuer la pression populaire (non-violente) pour qu’il ne tombe pas dans les travers du gouvernement précédent (l’un des pires de l’histoire contemporaine du Liban), et se mette à travailler sérieusement.

Ceci dit, le dénigrement (souvent odieux, surtout envers les femmes) des nouveaux ministres par des 14marsistes déguisés en thouwar est d’un ridicule...

Ces faux thouwar qui aiment fouiller les poubelles pour discréditer leurs adversaires devraient publier leur CV. Je suis sûr qu’on y trouverait des pépites bien plus croustillantes que celles dénichées dans le passé des ministres.

Pendant qu’ils y sont, s’ils n’ont rien à cacher, ils devraient aussi publier leurs sources de revenu, passées et présentes.


22 janvier, soir: Beyrouth brûle-t-elle?

Le centre-ville de Beyrouth est livré aux casseurs.

On ne fera croire à personne (avec un minimum de neurones) que ceux qui les envoient ne sont pas connus des services de sécurité.

Pourquoi rien n’est fait pour les arrêter? Qui les protège?

Quant aux thouwar qui justifient cette violence injustifiée, ils trahissent la multitude qui a fait le soulèvement du 17 octobre.

Ce qui se passe ce soir est très différent de ce qui s’est passé samedi dernier. Ce soir, il y a une volonté manifeste de confrontation qui s’est déclarée dès l’arrivée des "manifestants".

Dans quel but, à part créer une situation de chaos? À qui profite ce crime? En quoi sert-il la contestation véritable?

Ce soir est une trahison de la thawra.


23 janvier, matin: À propos des violences

Si toutes les violences sont condamnables, celles qui ont eu lieu ces derniers jours ne sont pas toutes identiques.

- Les violences qui ont eu lieu contre les agences bancaires rue Hamra étaient l’expression d’une colère légitime.

Une colère contre un secteur bancaire complice de l’effondrement économique du Liban et de l’appauvrissement des Libanais, qui a l’obscène arrogance de limiter illégalement le retrait en espèce de notre propre argent, mais qui exige le paiement rubis sur l’ongle de nos traites et nos crédits.

Cette colère et son expression violente ont déchaîné une répression inouïe, sans précédent depuis le 17 octobre.

- Les violences qui ont eu lieu samedi dernier au centre-ville étaient une réaction à la répression sauvage qui s’est abattue sur des manifestants pacifiques, après qu’un groupe très minoritaire a provoqué les forces de l’ordre.

Ce qui a commencé par plusieurs manifestations bon-enfants, rejetant le cirque politicien autour de la formation du gouvernement, s’est terminé dans le sang et les lacrymogènes. Qu’importe la personne ou le groupe qui a lancé la première pierre vers les forces de l’ordre, la répression était disproportionnée et a été unanimement condamnée.

- Les violences d’hier soir sont très différentes. Elles étaient programmées, ont eu lieu de façon quasi-militaire, disposaient d’importants moyens financiers, et n’ont curieusement pas été réprimées comme les deux précédentes.

Si la formation du nouveau gouvernement a de quoi décevoir (et c’est un euphémisme), si la pression populaire doit continuer à s’exercer sur une classe politique sans scrupules, rien ne justifiait le niveau de violence auquel nous avons assisté, et la destruction gratuite de biens publics et privés au centre-ville de Beyrouth.

Cette violence programmée, dont les organisateurs sont certainement connus des services de sécurité, n’a pas rencontré grande résistance durant les premières heures. Comme si on avait laissé casser et vandaliser avant de siffler la fin de la récréation à coups de lacrymogènes.

Montrer que ces violences ne sont pas identiques n’équivaut évidemment pas à les justifier, mais peut aider à comprendre la différence fondamentale entre une colère légitime qui dérape et un chaos qu’on cherche à imposer.

Cette compréhension est importante pour que les semeurs de chaos ne puissent plus se cacher derrière la colère légitime d’un peuple qui n’en peut plus, et utiliser notre révolution pour détruire ce pays que nous voulons sauver.


25 janvier, matin : 100 jours

100 jours contre 100 ans depuis la création du Grand Liban et du système confessionnel par la France.

100 jours contre 77 ans depuis l’Indépendance et la consécration du confessionnalisme comme principe de gouvernement.

100 jours contre 30 ans depuis la fin de la guerre, depuis l’accord américano-saoudien de Taef et le règne sans partage des voyous.

100 jours contre 15 ans depuis la deuxième indépendance et la reconduction du règne des voyous.

100 jours ce n’est pas grand-chose.

Mais en 100 jours tant de choses ont déjà changé.

Après 100 jours, plus jamais le Liban ne pourra être gouverné comme avant.

Après 100 jours, les sièges du pouvoir ne sont plus si confortables, et les voyous doivent se cacher derrière d’autres pour gouverner.

Après 100 jours, le confessionnalisme vieux d’un siècle est devenu une maladie honteuse.

Après 100 jours, le peuple a pris conscience de sa force, de sa puissance, et des miracles qu’il peut accomplir quand il est uni.

Mais après 100 jours, certains perdent espoir et d’autres s’impatientent.

Ils oublient qu’en 100 jours, si tout n’a pas encore changé, si presque tout reste encore à faire, nous avons réussi le plus difficile: se déclarer en nation et forcer le respect du monde.


25 janvier, soir: Quelle alternative?

N'est-il pas temps pour la thawra de proposer une alternative concrète et crédible?

Juste crier "la thiqa" ne sert absolument à rien.

C'est surtout un refus de prendre ses responsabilités et d'en assumer les conséquences, autant sur le plan politique qu'économique.

Le plus difficile à comprendre c'est l'insistance de certains thouwar à compter sur la classe politique pour trouver des solutions à l'effondrement économique et social, tout en affirmant que cette même classe politique est corrompue, malhonnête et irresponsable.

La contradiction est flagrante.

Quand on veut que kellon ya3né kellon s’en aillent, il faut avoir une alternative qui puisse les remplacer. Une alternative solide qui puisse se mettre immédiatement au travail pour sauver le pays.

L’autre alternative c’est le chaos.

Ce chaos que cherchent visiblement certaines parties mercenaires, qui organisent et financent la violence qui se répète invariablement au centre-ville de Beyrouth.


25 janvier, nuit: Neutraliser les violences

Ce qui s’est passé aujourd’hui n’est pas un évènement unique, mais deux évènements distincts qu’il serait naïf de confondre, même si certaines télés poussent dans ce sens:

1. Plusieurs manifestations pacifiques dans la continuité du soulèvement du 17 octobre qui se sont données rendez-vous au centre-ville de Beyrouth.

2. Des violences organisées, avec un sifflet de début et un sifflet de fin.

Prétendre que ces violences sont "insurrectionnelles" c’est se moquer du monde. Une insurrection ne s’arrête pas à un moment précis, et les insurgés ne se retirent pas d’un coup quand l’ordre est donné par on ne sait qui.

Ces violences profitent des manifestations pacifiques et de la présence de nombreux citoyens en colère pour avoir lieu. Elles en empruntent les slogans et les revendications pour profiter de leur légitimité contestataire.

En résumé, ces violences organisées vampirisent la thawra pour pouvoir exister.

C’est pourquoi il est indispensable pour la suite du soulèvement, pour qu’il puisse se muer en révolution véritable, que celles et ceux qui y prennent part ou le soutiennent se démarquent clairement de ces violences et les dénoncent.

En leur retirant leur légitimité contestataire, on les neutralise progressivement, et elles finiront par disparaître d’elles-mêmes.


26 janvier, matin: Une thawra dans la thawra

Depuis le début soulèvement, le 17 octobre de l’année dernière, tout un tas de gens et d’organisations politiques et médiatiques ont mis leur plus beau déguisement révolutionnaire et ont surfé sur la colère populaire.

Parmi ceux-là, on trouve en vrac: des hommes et des femmes d’affaire à la fortune douteuse, des organisations non-gouvernementales généreusement subventionnées par des pays étrangers (dont les statuts leur interdit pourtant de se mêler de politique), des opportunistes ayant échoué aux dernières élections qui pensent avoir trouvé le bon filon pour satisfaire leurs ambitions personnelles, des partis politiques qui ont participé au pouvoir depuis 1992 pour certains et depuis 2005 pour d’autres, des contestataires professionnels qui ne semblent étrangement pas souffrir de l’appauvrissement généralisé et dont les ressources financières semblent avoir curieusement augmentées depuis le 17 octobre, des médias dont la corruption n’est plus un secret pour personne, et des démagogues en tout genre qui hantent régulièrement les plateaux de ces médias corrompus pour y dénoncer la corruption!

Ces sangsues n’ont que faire du peuple, de sa colère et de ses revendications. Sitôt arrivés à leurs fins, ils le traiteront avec le même mépris que la classe politique.

N’ont-ils pas tous, sans exception, et avec une constance obscène, refusé depuis des années de lutter contre la pauvreté au Liban?

Ne sont-ils pas tous, d’une façon ou d’une autre, les complices d’un système bancaire qui a grandement participé à la ruine de l’économie, à l’appauvrissement des Libanais et à l’effondrement auquel nous assistons aujourd’hui?

Ne refusent-ils pas tous publiquement, avec un entêtement déconcertant, toute proposition de s’organiser et de choisir des représentants du soulèvement, alors qu’ils s’organisent secrètement entre eux et prennent des décisions sans consulter qui que soit en dehors de leur petit cénacle?

Ne couvrent-ils pas, par leur silence, les organisateurs des violences qui dénaturent et trahissent l’esprit du 17 octobre, et tentent de mener le pays vers le chaos. Et par ce même silence, ne sont-ils pas les complices de ces fomenteurs de chaos?

Le regretté Samir Kassir, qui manque cruellement aujourd’hui, évoquait en 2005 une intifada dans l’intifada. Si celle-ci avait eu lieu, nous n’aurions peut-être pas laissé les sangsues d’alors piller pendant 15 ans ce qui restait de l’argent public.

Pour que la révolution libanaise réussisse, sauve le pays et son peuple d’un effondrement socio-économique qui s’aggrave chaque jour un peu plus, et puisse changer fondamentalement le système mafieux qui régit le Liban depuis trop longtemps en démocratie véritable, il est devenu indispensable de faire une thawra dans la thawra.

Pour enfin détrôner, au même titre que la classe politique corrompue, les sangsues de la révolution.


© Claude El Khal, 2020