Chroniques de la Révolution libanaise (vol.4): Le Parti bancaire contre-attaque

Photo: Hasan Chaaban

Les Chroniques de la Révolution libanaise sont la suite du journal en 7 volumes publié ici, qui raconte au jour le jour le soulèvement populaire qui secoue le Liban depuis le 17 octobre 2019.

Ces chroniques, dont le quatrième volume couvre la période du 22 au 28 avril 2020, permettront je l’espère de mieux comprendre l’évolution de ce soulèvement et sa difficile mutation en révolution.



22 avril: Désinformation en préparation

Des journalistes occidentaux et libanais binationaux seraient en train de préparer une série d’articles et de reportages à publier et à diffuser dans les médias internationaux pour faire passer, aux yeux de l’opinion publique internationale, les manifestations 14marsistes pour un retour de la thawra.

Avec, bien évidemment, la complicité d’"activistes" ou de "militants" de la prétendue "société civile" libanaise, sur le témoignage desquels ces articles et ces reportages seraient basés.

L’objectif est simple: justifier le renversement du gouvernement libanais actuel et le retour au pouvoir des 14marsistes, toujours labellisés pro-occidentaux, anti-syriens et anti-iraniens (ce qui en langage BHL veut dire anti-axe du Mal).

Le but de ce coup d’état qui ne dit pas son nom est autant politique qu’économique (les deux ne sont-ils pas toujours indissociables?) et correspond aux vœux du cartel bancaire: privatiser tout ce qui reste des services et des entreprises publiques.

L’État libanais, ainsi "débarrassé" de ses institutions publiques nationales, ciment de son unité, pourra progressivement disparaître au profit de mini-états confessionnels.

C’est la dislocation programmée du Liban et la division de son peuple. Cette division du peuple rendra impossible tout soulèvement populaire national, c’est-à-dire toute thawra future.


Note: il n’aura pas fallu attendre longtemps (près de 48h) après la publication de ce billet sur facebook pour que les premiers articles et reportages apparaissent dans les médias.


26 avril: Vernis confessionnel

Curieusement, on n’entend jamais les Patriarche et Mufti élever la voix quand des maronites ou des sunnites perdent leur travail et sombrent dans la pauvreté.

La logique confessionnelle le demanderait pourtant.

Ce n’est donc pas le système confessionnel qu’ils défendent, quand l’un protège le gouverneur maronite de la Banque du Liban et l’autre un ancien Premier ministre sunnite accusé de corruption, mais le système oligarchique.

Le vernis confessionnel qui protège les oligarques ne trompe plus que les naïfs et les myopes qui ont cassé leurs lunettes ou perdu leurs lentilles.


27 avril, matin: Le Parti bancaire

Ils ne manifestent jamais contre la mafia bancaire. Et quand le gouvernement déclare enfin vouloir la combattre, ils ferment les routes pour s’opposer à lui.

Par contre ils ne mouftent pas quand l’ambassadrice des USA se mêle des affaires intérieures libanaises. Ni quand les avions et les drones israéliens violent l’espace aérien libanais.

La souveraineté libanaise ne les concerne pas. Du moins dès qu’il s’agit des USA et d’Israël. Ils affirment vouloir combattre la corruption, mais jamais celle du cartel bancaire, pourtant colonne vertébrale de la corruption institutionnalisée. Étranges révolutionnaires que ceux-là!

Peut-être ont-ils peur de perdre leur siège dans les talkshows des télé mercenaires, et de ne plus pouvoir y hurler des slogans qui ne trompent plus grand monde. Ou peut-être ne bougent-ils, ne hurlent-ils, que sur commande. Celle des nombreuses succursales libanaises de l’ambassade US.

Ces succursales (institutions bancaires et financières, partis politiques traditionnels, petits partis contestataires, groupes de la société civile, chefs communautaires, presse écrite et médias audio-visuels) forment un "Parti bancaire" relativement bien organisé et bien décidé à reprendre le pouvoir.

À l’heure où la colère populaire s’exprime de plus en plus contre la Banque du Liban (BDL) et contre les banques qui continuent, en toute illégalité, à imposer des mesures vexatoires et humiliantes à leurs déposants, à l’heure où la chute programmée de la livre libanaise continue d’appauvrir un peuple déjà très pauvre, le "Parti bancaire" se déguise en révolutionnaire pour faire tomber le gouvernement, quitte à plonger le pays dans un chaos suicidaire dont il se passerait volontiers.

Ces manifestations ne sont pas sans rappeler celles contre le gouvernement de Mohammad Mossadegh en Iran en 1953, contre celui de Patrice Lumumba au Congo en 1961, contre celui de Salvador Allende au Chili en 1973, et contre tant d’autres à travers le monde et l'histoire contemporaine.

L’objectif est toujours le même: faire tomber un gouvernement suivant les intérêts US. Le résultat est toujours identique: la mise en place d’un régime fantoche au service de Washington.

Qu’importe si le pays convoité sombre dans le chaos, qu’importe si son peuple meurt de faim, qu’importe si son tissu sociétal implose, qu’importe s’il ne reste à gouverner que des cendres et des ruines.


27 avril, soir: Des conséquences néfastes

Non seulement les manifestations où le social distancing n’est pas respecté risquent de favoriser la propagation du Covid-19 et ruiner les effets des mesures sanitaires prises pour contenir l’épidémie, mais fermer les routes ont pour conséquence de retarder les tests aléatoires de dépistage du virus, empêcher les journaliers de travailler (alors qu’ils n’ont pas pu travailler durant le confinement) et retarder la distribution de l’aide financière de l’État aux plus touchés par les mesures sanitaires.

Mis à part leur agenda politique, ces manifestations n’ont que des conséquences néfastes pour les plus démunis et pour la population en général.


28 avril: Une manipulation cousue de fil blanc

Le Premier ministre, Hassan Diab, veut mettre un terme aux agissements du gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et du cartel bancaire.

Des manifestations contre Diab sont organisées pour l’obliger à reculer et ainsi protéger Salamé et les banques. Mais ça ne marche pas, Diab ne recule pas.

Alors on provoque l’armée pour créer l’incident, augmenter la pression et provoquer un schisme entre l’exécutif et l’institution militaire.

L’irréparable tragédie a lieu. Un jeune homme est tué.

Les attaques contre Diab se doublent d’attaques contre l’armée. Les manifestations se multiplient dans plusieurs régions et sont majoritairement violentes. Mais le schisme espéré n’a pas lieu. L’armée et Diab tiennent bon.

Surtout que la majorité de la population est restée chez elle et n’a pas rejoint les manifestations, malgré une campagne d’envergure sur les réseaux sociaux et un énorme battage médiatique, notamment sur plusieurs chaînes de télé.

La multitude qui a formé le soulèvement du 17 octobre n’est pas dupe. Elle a bien compris qu’on cherchait à exploiter sa souffrance pour protéger ceux-là mêmes qui en sont responsables.

De plus, la colère des manifestants s’est principalement dirigée contre les banques dont plusieurs succursales ont été saccagées et brûlées.

Face à l’échec de cette manipulation, l’ambassadrice des USA se rend chez Diab, puis dénonce sur twitter la violence dans les manifestations et se permet de donner des directives aux manifestants.

Les manifestations ne s’arrêtent pas pour autant. Les violences se calment un peu avant de reprendre dans la soirée. La boîte de Pandore est ouverte, et il va être difficile de la refermer.

Par ailleurs, nombre de Libanais sont resté dans la rue, notamment à Beyrouth, pour crier leur frustration face à un quotidien devenu insupportable.

Ici ou là, les slogans anti-Salamé prennent le dessus sur ceux contre Diab et l’armée.

Demain mercredi, une vidéo de Salamé va être diffusée. Il est censé y faire des "révélations". La teneur de ses propos va déterminer les évènements qui vont suivre. Soit il fait un mea culpa et annonce sa démission, ce qui est peu probable, soit il contre-attaque et fait porter le chapeau à l’exécutif.

Dans ce cas, l’affrontement entre le Parti bancaire et les partis qui soutiennent le gouvernement sera inévitable et pourrait plonger le pays dans une violence autodestructrice.

L’avenir immédiat du Liban risque d’être malheureusement très sombre.


© Claude El Khal, 2020