Ni oubli ni pardon

photo: Anwar Amro / AFP

Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont amené les tonnes de nitrate d’ammonium dans le port de Beyrouth. Ni oubli ni pardon pour ceux qui les y ont entreposés. Ni oubli ni pardon pour ceux qui les y ont laissés pendant sept ans. Ni oubli ni pardon pour ceux qui savaient et qui n’ont rien dit. Ni oubli ni pardon pour ceux qui savaient et qui n’ont rien fait. Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont provoqué l’explosion qui a détruit Beyrouth. Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont abandonné les survivants à leur sort sans bouger le moindre petit doigt pour les aider. Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont regardé sans frémir une population meurtrie nettoyer elle-même ses rues du sang, des débris et des destructions. Ni oubli ni pardon pour ceux qui se foutent de la vérité et de la justice, et qui ne cherchent qu’à accuser leurs adversaires politiques. Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont profité du cataclysme pour se faire mousser, ou pire: pour se mettre dans la poche les aides aux Beyrouthins sinistrés. Ni oubli ni pardon pour ceux qui ont instrumentalisé notre blessure béante pour se faire élire, ou se faire bien voir par les ambassades. Ni oubli ni pardon pour ceux qui se sont précipités pour acheter ce qui restait des décombres fumants et faire du profit à moindre frais. Ni oubli ni pardon pour ceux qui festoient et se goinfrent alors que Beyrouth et le Liban ont faim. Ni oubli ni pardon pour ceux qui dépensent sans scrupules l’argent volé aux Libanais. Ni oubli ni pardon pour vous les criminels, les profiteurs, les charognards, les voleurs, les assassins, les corrompus. Pour la plupart d’entre vous, nous savons qui vous êtes. Pour les autres, nous le saurons assez tôt. Et je jure, comme jure chaque Libanais qui saigne encore, en silence ou en hurlant, je jure que vous payerez, un jour ou l’autre. Dans un an, dans dix ans, dans vingt ans, vous payerez. Ce jour-là, pour vous, vos complices et vos semblables, il n’y aura ni oubli ni pardon, ni empathie ni compassion.

© Claude El Khal, 2022