Pourquoi la condamnation du génocide à Gaza est un devoir moral


Pourquoi la condamnation du génocide à Gaza n’est pas exclusivement liée à la Palestine, et pourquoi elle est un devoir moral. 

Quand un événement a eu lieu, le condamner ou l’applaudir, ou se tenir à l’écart et se taire, ne change absolument rien à l’événement lui-même, vu qu’il a déjà eu lieu.
 
Mais quand un événement est en train d’avoir lieu, le condamner ou le dénoncer, le soutenir ou rester à l’écart et se taire, peut influencer le cours de cet événement.

Les dirigeants occidentaux ont condamné, avec la plus grande fermeté, l’attaque du Hamas. Mais leur condamnation, aussi ferme qu’elle pût être, n’a rien changé au fait que l’attaque a eu lieu, avec ses terribles conséquences pour Israël.

Par contre, quand les dirigeants occidentaux soutiennent inconditionnellement Israël alors qu’il est en train d’écraser Gaza sous les bombes, ils encouragent la poursuite de ces bombardements et sont complices de leurs terribles conséquences pour la population palestinienne. Cependant, s’ils avaient condamné ces bombardements, ils auraient incité, voire forcé, Israël à les arrêter.
 
La même chose s’applique à nous tous (j’emploie ici le “nous” dans son sens le plus large possible).

Que nous ayons individuellement ou collectivement condamné ou non l’attaque du Hamas n’a rien changé à sa réalité et n’a diminué en rien le nombre de ses victimes. C’est une prise de position morale ou politique dont l’importance est subjective. Pour beaucoup, c’est un impératif symbolique destiné à prévenir des attaques similaires à l’avenir. Pour d’autres, c’est un impératif moral pour affirmer son humanité. Pour d’autres encore, c’est l’expression politique indispensable du soutien à Israël. Mais pour d’autres aussi, cette condamnation est hypocrite, et n’est l’expression que du “double standards” occidental. Les différences d’opinion sont légitimes, et le débat entre elles serait salutaire.

Dans le cas des bombardements sur Gaza, l’enjeu est différent. Il n’est plus question de prises de position sur un événement qui a déjà eu lieu, mais d’influer sur un événement qui est en train d’avoir lieu.

Si nous soutenons ouvertement les bombardements sur Gaza, ou si nous restons à l’écart et nous nous taisons, nous encourageons leur poursuite, et devenons de facto complices de leurs conséquences sur la population civile. Mais si nous élevons la voix pour les dénoncer et les condamner, nous provoquons une réaction en chaîne qui peut conduire à l’arrêt de ces bombardements.

Devant l’ampleur du drame, l’expression individuelle peut sembler dérisoire mais elle ne l’est pas, au contraire. C’est bien la somme des expressions individuelles qui forme l’opinion publique. Et l’opinion publique, c’est l’alpha et l’oméga des dirigeants politiques. Sans elle, ils n’existeraient pas. C’est elle qui les porte au pouvoir, et c’est elle qui peut les en déloger. Il est délicat, voire fatal, pour des dirigeants d’aller à l’encontre de leur opinion publique. Ils pourraient perdre l’unique raison de leur existence: le pouvoir.

En cela, l’opinion publique porte une grande responsabilité. Elle peut faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre, et parfois même faire basculer le cours des choses.

De quel côté l’opinion publique doit-elle pencher aujourd’hui? Pour le savoir, il faut se poser deux autres questions: que se passe-t-il à Gaza, et pourquoi est-il si important de prendre position?
 
Au-delà de ce qu’on appelle poliment “le conflit israélo-palestinien”, une population civile est en train d’être méthodiquement bombardée avec pour objectif sa disparition d’un territoire donné. En droit international, ça s’appelle un génocide.

Il se trouve, par les contorsions tragiques de l’Histoire, que cette population civile est aujourd’hui palestinienne et que le territoire donné est Gaza. Si ce dernier avait été situé ailleurs, sur un autre continent par exemple, et si la population qui y vit avait été autre, ça n’aurait rien changé à la réalité objective de son supplice.

Il appartient à chacun de nous de se demander si un génocide est acceptable à ses yeux ou s’il ne l’est pas. Si le meurtre organisé d’hommes, de femmes et d’enfants pour la simple raison qu’ils existent, est un événement dramatique mais banal, un sujet d’actualité comme un autre, ou si au contraire il est un crime absolu, comme le furent ceux qui l’ont précédé.

Face aux génocides passés, nous ne pouvons rien. Mais nous pouvons nous demander: qu’aurions-nous fait si nous étions les contemporains de l’un d’eux? L’aurions-nous soutenu et encouragé, aurions-nous détourné le regard et laissé faire, ou aurions-nous fait de notre mieux, chacun selon ses capacités et ses moyens, pour l’arrêter.

La réponse est ici et maintenant. Et elle à Gaza.
 
The choice is yours.

© Claude El Khal, 2023
Photo: Astrid Riecken for The Washington Post