Crétins du Liban : explication de texte

Après avoir été copieusement couvert d’insultes suite à la chronique “Crétins du Liban” publiée sur ce blog il y a quelques jours, je me devais de réagir.

Je n’ai aucun problème à être insulté pour ce que j’ai dit, j’assume toujours mes propos, et en général je persiste et signe, mais l’être pour ce que je n’ai pas dit, là ça m’énerve.

La plupart des commentaires outragés me reprochent d’avoir dit du mal de, et au passage injurié, tous les chrétiens du Liban. Pourtant, je pensais qu’en commençant la chronique par “Certains chrétiens libanais”, il était évident que je ne parlais pas de tous mais de... certains !

J’avais visiblement tort. Il aurait sans doute été plus judicieux d’écrire : “Certains chrétiens libanais pas tous, juste un petit groupe pas l’ensemble, quelques individus pas la masse, lui et lui et lui et même lui, mais surtout pas lui, lui ou lui, ni tous les autres d’ailleurs.”

Bref, continuons à lire :

“…ont eu une poussée d’hormones quand ils ont découvert les caricatures de Charlie Hebdo. Pas celle du Prophète, non celles-là ça va, mais celle du Messie.” Là aussi, je pensais avoir été clair : quelques chrétiens libanais (pas tous) n’avaient absolument aucun problème avec les caricatures du prophète Mohammad. Ils étaient solidaires du journal martyr et étaient prêt à scander “je suis Charlie” face à la barbarie des hordes islamistes ! Mais, soudain, quand ils ont découvert les caricatures de Jésus, leur discours a radicalement changé et ils ont opéré un u-turn aussi spectaculaire que brutal. Soudain, la bande à Charlie était devenue une horde de dangereux athées qui ne respectaient rien, des Staline du rire, des Pol Pot de la vanne.

Pourtant, beaucoup de chrétiens ont, dès le départ, dit ou écrit qu’ils n’étaient pas Charlie bien qu’ils condamnaient fermement l’attentat contre l’hebdomadaire. Ils ont longuement expliqué que, pour eux, on ne pouvait pas rire de tout, et que les religions, toutes les religions, étaient sacrés. Bien que je ne sois pas d’accord avec eux, je respecte évidemment leur opinion, comme j’aimerai qu’ils respectent la mienne.

Mais c’est l’hallucinante hypocrisie du virage opéré par les autres, le deux-poids-deux-mesures scandaleux de leur discours, et le sectarisme odieux de leur démarche qui m’a mis en boule et m’a poussé à sortir mon stylo, verve au poing. J’ai bien sûr voulu souligner leur mauvaise foi (le double sens est voulu) en citant toutes les choses qui devraient les pousser à s’indigner mais contre lesquels ils ne mouftent jamais, aussi léthargiques qu’un légume bouilli dans un plat traditionnel anglais.

Curieusement, là aussi, beaucoup de commentaires et messages que j’ai reçu étaient totalement à côté de la plaque. On m’a vanté les qualités exceptionnelles des chrétiens, leur résistance et leur résilience. On m’a affirmé que je ne connaissais rien au pays, comment pourrai-je puisque je n’y vis pas, a noté un commentateur d’une perspicacité attendrissante. On m’a accusé de faire du mal non seulement aux chrétiens mais au Liban en général. Bref, on a nagé en plein délire.

Mais je suis fair-play, s’ils tiennent absolument à parler des chrétiens libanais, tous les chrétiens cette fois, allons-y, parlons-en.

Il y a ceux, plus nombreux qu’on ne pourrait croire, qui vivent leur foi au lieu de la porter en or autour du cou. Ceux-là essayent bon an mal an d’appliquer les enseignement du Christ : la compassion, la tolérance, le pardon, le partage, mais aussi le refus de l’injustice, de l’hypocrisie, du mensonge, ainsi que le rejet des faux dévots et du système corrompu qui les nourrit. Ces gens de bien, éminemment chrétiens, il nous faut saluer leur remarquable courage quotidien dans un pays aussi gangrené que le nôtre.

Mais il y a les autres. Les racistes, les xénophobes et les homophobes. Les profiteurs, les menteurs et les voleurs. En quoi ceux-là sont-ils chrétiens ? Ne le sont-ils pas uniquement par le hasard de leur naissance, et se seraient revendiqué avec le même zèle musulmans, juifs, bouddhistes, hindouistes ou shintoïstes, s’ils étaient venus au monde dans une famille musulmane, juive, bouddhiste, hindouiste ou shintoïste ? Leur christianisme n’est-il en réalité rien d’autre qu’un costume d’apparat ? A moins qu’il ne soit une contrefaçon comme il y en a tant au Liban… Et quid de cette curie repue et bedonnante qui, si on la laissait faire, ne demanderait rien de mieux que de régir nos vies, interdire tout ce qui lui défrise la calotte, et transformer nos économies en deniers du culte ? Chrétiens dites-vous?

Parlons un peu politique pendant qu’on y est. Là, je serai sympa et je ne remonterai pas plus loin que la fin des années 80 et l’ère de l’occupation syrienne. Pendant que quelques uns résistaient à l’occupant et que nombre d’entre eux étaient arrêtés, emprisonnés, torturés, que faisaient les autres ? N’ont-ils pas vu une aubaine dans la prétendue reconstruction du Liban et « l’ouverture » avec la Syrie ? N’ont-ils pas tous couru, commerçants, banquiers, businessmen ou publicitaires, y faire des affaires ? L’establishment économique, médiatique et politique chrétien n’a-t-il pas collaboré avec l’occupant, tirant un maximum de profit du joug syrien ? Pour ensuite descendre dans la rue un certain 14 Mars 2005 se refaire une virginité... Combien de citoyens chrétiens ont dénoncé cette honte ? Combien n’ont pas été, souvent par lâcheté, les clients, les obligés ou les complices de cet establishment ? Et après ce fameux 14 Mars, ne se sont-ils pas divisés puis englués dans des querelles byzantines au point de n’avoir pratiquement plus de poids politique déterminant ?

Et quand leurs coreligionnaires syriens et irakiens se sont fait massacrer ou, au mieux, chasser de chez eux, qu’ont-ils fait ? Pourquoi ne sont-ils descendus dans la rue en masse comme ils le font si bien pour un oui ou pour un non, ou quand leurs chefs le leur ordonnent ? Pourquoi n’ont-ils pas demandé des comptes à ces chefs inertes et impuissants qui pourtant rivalisaient pour s’affabuler du titre ronflant de "leader des chrétiens d’Orient" ?

Comme tout ça est loin de Jésus, ce révolutionnaire farouche qui a bousculé l’ordre établi, chassé les marchands du temple, fustigé les riches et les hypocrites, aimé et défendu les pauvres, les délaissés et les démunis…

Pour conclure et revenir à mon propos initial, ne pensez-vous pas comme moi, allez avouez-le, que ceux qui ont changé leur “hourra à Charlie” quand il s’est moqué du Prophète en “haro sur Charlie” quand il a fait pareil avec le Messie, ont largement prouvés qu’ils étaient non seulement des crétins du Liban mais aussi des salauds universels ?



© Claude El Khal, 2015