Hezbollah et Daech, amalgames et réalités

A chaque fois que le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, fait un discours, il faut s’attendre au même concert de poncifs, parfois d’une naïveté confondante, souvent d’une mauvaise fois ahurissante.

Sait-on encore au Liban faire la part des choses ? Sait-on encore voir clairement les réalités sans laisser l’émotion et l’idéologie nous voiler l’esprit ?

On peut, comme moi, être absolument contre toute structure militaire qui ne fasse pas partie de l’armée libanaise ou des forces de l’ordre. On peut, comme moi, penser que les armes ne peuvent et ne doivent être que l’apanage exclusif de l’Etat. A moins que celui-ci ne perde sa légitimité, en cas d’occupation étrangère par exemple, comme en France pendant l’Occupation allemande.

On peut, comme moi, exécrer ce régime syrien qui nous a tant saigné et être résolument contre l’intervention du Hezbollah en Syrie.

On peut, comme moi, être en profond désaccord avec le Hezbollah sur le principe même d’un mouvement politique se déclarant "parti de Dieu". On peut, comme moi, refuser toute jonction entre le religieux et le politique.

La foi est une affaire intime, même si elle est fondée sur des Ecritures que les religions revendiquent. De ce fait, elle ne devrait en aucun cas se mêler de la chose publique, qui est l’affaire de tous, toutes croyances confondues. Selon ce postulat, on ne peut qu’être hostile à tout régime théocratique. Donc fondamentalement opposé à la République islamique iranienne, alma mater du Hezbollah, et à sa doctrine d’une Wilayat el Faqih dirigée par un guide suprême politique et spirituel qui présiderait aux destinées des peuples et des nations.

Mais on ne peut pas ignorer les réalités et dire ou écrire n’importe quoi.

La réalité historique d’abord : le concept d’un parti politique répondant à une Wilayat el Faqih extranationale et à son guide suprême n’est pas nouveau. Le parti communiste français d’antan en est le parfait exemple. Ses similitudes avec le Hezbollah d’aujourd’hui sont nombreuses. Le dogme communiste d’autrefois n’a rien à envier à la doctrine khomeyniste. Les partis communistes du monde entier recevaient leurs ordres de Moscou et de son guide suprême, Staline, le "petit père des peuples". Bien que fort d’un immense soutient populaire – au lendemain de la seconde guerre mondiale il était le plus grand parti de France, le PCF n’échappait pas à cette règle. Il faisait donc partie intégrante du régime totalitaire soviétique.

Ceci n’a pas empêché de Gaulle d’être son partenaire au sein du Conseil National de la Résistance, puis de gouverner avec lui.

La réalité idéologique ensuite : le Hezbollah est un parti chiite d’obédience khomeyniste. Le khomeynisme, comme son nom l’indique, fut inspiré par l’ayatollah Ruhollah Khomeiny, guide spirituel et politique de la révolution iranienne. Sans rentrer dans le détail des subtilités religieuses, il est indispensable de faire le distinguo politique et sociétal entre cette idéologie et le wahhabisme takfiriste dont Daech est l’émanation la plus extrême.

Le wahhabisme et son enfant terrible, le takfirisme, ne tolèrent que l’islam rigoriste tel que l’a défini Mohammad Ibn Abdel-Wahhab au dix-huitième siècle. Tout le reste est strictement interdit et brutalement réprimé. Alors que dans l’Iran khomeyniste, les adeptes des autres "religions du Livre" (le judaïsme et le christianisme) peuvent pratiquer leur foi ouvertement – juste à Téhéran, il y a une dizaine de synagogues et nombre d’églises. Etant minoritaires, les Juifs et les Chrétiens ne représentent pas un poids politique déterminant. Ils peuvent donc élire leurs représentants au parlement iranien.

Cette tolérance relative est bien sûr loin d’être idéale. Certaines communautés, comme les Baha’is, sont toujours persécutées, mais il n’y a aucune commune mesure avec l’intolérance fanatique et meurtrière du takfirisme.

Les systèmes politiques sont également antinomiques : l’Iran est une république, alors que les takfiristes prônent le califat. Bien que la marge démocratique soit extrêmement limitée, l’Iran est doté d’un parlement élu au suffrage universel, alors que ceci n’est même pas envisageable dans un califat takfiriste.

D’un point de vue sociétal, le rôle des femmes en Iran est relativement important. Les femmes ont le droit de travailler et peuvent occuper d’importantes responsabilités dans des entreprises privées et publiques. Elles sont présentes dans la vie politique, au parlement et depuis peu au gouvernement. A titre comparatif, l’Iran et le Liban, qui se targue pourtant d’être un pays libéral, ont le même pourcentage de femmes députés : près de 3%, et le même nombre de femmes au gouvernement : une seule ! Rien de tout cela n’est évidement possible avec les takfiristes, pour qui la femme est quantité négligeable. De plus, l’esclavage est strictement interdit en Iran, alors qu’il est pratique courante chez les takfiristes.

Pour schématiser, on peut dire qu’il y a autant de similitudes entre le khomeynisme et le takfirisme qu’entre un barbu de taille moyenne et une mouche tsé-tsé.

Pour en revenir au Hezbollah, mises à part toutes ses différences idéologiques, politiques et sociétales avec Daech, a-t-on jamais vu ses membres crucifier des chrétiens en place publique ? Les a-t-on vu décapiter leurs prisonniers dans des mises en scène macabres ? Les a-t-on vu en brûler vifs dans des cages en fer ? Ou vendre des enfants comme esclaves sexuels ?

Bref, faire l’amalgame entre le Hezbollah et Daech est, au meilleur des cas, absurde.

Aujourd’hui, nous sommes en guerre. Comme tous les autres peuples de la région. En guerre contre un ennemi monstrueux. Sans doute le plus monstrueux et le plus sanguinaire de notre Histoire. Un ennemi qui ne cherche pas à nous soumettre ou à nous dominer, mais à nous détruire. A nous annihiler de la façon la plus barbare qui soit.

Alors on fait quoi ? On se drape dans un idéal éthéré qui ne nous protègera en rien du sabre daechiste ? On se fourre la tête dans le sable en espérant que les hordes du calife Ibrahim ne vont pas nous voir ? Ou bien on regarde la réalité en face et on décide de prendre le taureau par les cornes, et à l’instar du général de Gaulle avec le parti communiste, faire front commun avec le Hezbollah pour vaincre ce nouveau nazisme que représente Daech ? 

© Claude El Khal, 2015