Les 3 erreurs politiques du général Aoun

Le général Michel Aoun a réussi l’exploit de faire trois erreurs majeures en moins d’une semaine. Pourtant, toutes les conditions étaient réunies pour une importante victoire politique doublée d’un regain de popularité sans précédent depuis 2005.

Des conditions politiques favorables

Des adversaires mal en point : un 14 Mars en constante perte de crédibilité. Un Courant du Futur profondément divisé. Des Forces Libanaises neutralisées par la fameuse "déclaration d’intention". Des Kataeb en pleine refondation. Une ribambelle de petits partis chrétiens qui ne représentent plus grand monde. Et des personnalités indépendantes qui ne représentent qu’elles-mêmes.

Un allié de plus en plus populaire : n’en déplaise à ceux qui aiment jouer à l’autruche, le combat du Hezbollah contre les terroristes de Daech et Nosra est majoritairement soutenu par les chrétiens, qui considèrent à raison que les takfiristes représentent une menace pour leur existence même.

Un message qui porte : les revendications aounistes pour une meilleure représentativité chrétienne a suscité un vaste mouvement de sympathie chez les chrétiens, même parmi les contempteurs du Général. Sympathie qui s’est rapidement érodée, sinon évaporée, à cause de trois erreurs politiques impardonnables.

L’altercation avec le Premier ministre

Gebran Bassil savait ce qu’il faisait quand il a pris à parti Tamman Salam devant les caméras de télévision, avant que ne commence le Conseil des ministres. Il cherchait clairement une confrontation publique avec le Premier ministre, pour donner corps à ses revendications et se poser en ultime, sinon unique, défenseur des chrétiens.

Tammam Salam, poussé par les ministres joumblatistes, dont le flagrant double jeu reste à analyser, a répondu de façon autoritaire à la provocation de son ministre des affaires étrangères.

Et le clash souhaité s'est produit.

Au lieu d’une joute brillante de tribuns inspirés, les Libanais ont assisté, médusés et dépités, au spectacle lamentable d’hommes en cravates qui s’engueulaient comme des charretiers dans une cacophonie généralisée.

Dans ce marasme hargneux de cris et de doigts accusateurs, Gebran Bassil a dérapé et déclaré : "je suis le président de la République, en l’absence d’un président". Il voulait sans doute dire qu’il était le véritable représentant des chrétiens. Mais vu le petit nombre de supporters – une ou deux centaines tout au plus – qui manifestaient non loin du Sérail, cette déclaration avait des airs de grenouille qui se voulait aussi grosse que le bœuf.

Cela a évidemment déçu et déplu à beaucoup de chrétiens, alors que le peu de considération à l’égard du Premier ministre a fini de cabrer une rue sunnite déjà très hostile à Gebran Bassil et à Michel Aoun.

La confrontation avec l’armée

Quand le général Aoun a parlé de recourt à la rue, beaucoup ont imaginé un important déploiement populaire, de nombreuses manifestations avec des drapeaux oranges flottants dans toutes les régions chrétiennes.

Mais au final, seule centaine de personnes est descendue dans la rue. Il n’était donc plus question de s’éparpiller, mais de se regrouper en un seul endroit. Et bien sûr de faire un maximum de bruit pour faire oublier le nombre réduit de manifestants.

Le choix du Grand Sérail, où se tenait le houleux Conseil des ministres, s’est évidement imposé.

Arrivés aux abords de la place Riad el-Solh, les manifestants se sont trouvé face à l’armée libanaise qui avait reçu l’ordre de bloquer toutes les voies menant au Sérail.

Ils auraient très bien pu rester là et manifester leur soutien aux revendications du général Aoun. Mais ils ont décidés de forcer les barrages de l’armée et d’arriver à tout prix devant le siège du gouvernement.

Pourquoi cette décision a été prise et encouragée par les députés aounistes présents sur les lieux, et dans quel but ? Avaient-ils l’intention de prendre d’assaut le Sérail comme avait tenté de le faire le 14 Mars il y a quelques années ? C’est peu probable.

Alors pourquoi, si ce n’était pour provoquer une confrontation avec l’armée et ainsi se poser en victime ?

Même si, comme l’ont affirmé certains députés aounistes, certains avaient cherché à jeter le trouble entre l’institution militaire et le général Aoun – à l’heure où ce dernier revendique le droit de nommer le futur commandant en chef de l’armée – pourquoi être tombé dans le piège et avoir agi exactement comme ses adversaires le voulaient, d’abord en forçant les barrages de l’armée, puis en lançant publiquement toutes sortes d’accusations contre son commandement ?

L’armée libanaise est, à juste titre, sacro-sainte pour une écrasante majorité de Libanais. Elle est surtout l’épine dorsale du mouvement aouniste.

Si, en 1989, Michel Aoun n’avait pas été son commandant en chef, les chrétiens, dégoutés des milices et des politiciens, ne l’auraient soutenu comme ils l’ont fait. S’il n’avait pas été auréolé de son passé militaire, il n’aurait pas été autant plébiscité à son retour d’exil.

Et si demain, les Libanais – surtout les chrétiens – sont priés de choisir entre Aoun et l’armée, ils choisiront indéniablement l’armée.

De plus, en agissant de la sorte, le Général ne s’est-il pas conduit exactement comme ces salafistes qu’il dénonce avec force et qui ne perdent jamais une occasion de pointer du doigt le commandement de l’armée ?

Ce faisant, il a braqué contre lui de nombreux chrétiens qui étaient pourtant acquis à sa cause.

L’interdiction de MTV

En démocratie, les hommes et les femmes politiques se doivent de répondre aux questions des journalistes, même si les questions et les journalistes leur déplaisent.

Si on veut éviter de répondre à certaines questions embarrassantes, on ne fait pas une conférence de presse ouverte, on organise un point de presse sur invitation – ce qui n’est pas très démocratique mais a au moins l’avantage d’être conséquent avec soi-même.

Quand on fait une conférence de presse ouverte, on ne peut pas refuser de répondre à certaines questions puis s’emporter si le ou la journaliste insiste. Pour ensuite pester publiquement contre ce ou cette journaliste.

Le jeu démocratique a des règles. Personne n’est forcé d’y participer, mais quand on choisi de le faire et de surcroit prétendre à la direction du pays, on ne peut, ni ne doit, échapper à ces règles.

En refusant de se plier à l’une de ces règles, et en interdisant l’accès de Rabieh aux journalistes de MTV – qui n’ont d’ailleurs pas agi différemment de leur collègues de OTV face aux adversaires du Général – Aoun ne s’est pas conduit en démocrate et en homme d’Etat, ce qui, pour un candidat à la présidence de la République, est une faute politique non négligeable.

Michel Aoun se targue souvent d’être imprévisible. Mais imprévisible ne veut pas dire faire n’importe quoi n’importe comment, comme ce fut tristement le cas des derniers jours, qui ont vu sa popularité grandissante fondre comme neige au soleil.


© Claude El Khal, 2015