Haro sur Charlie Hebdo


Pour commémorer l'attentat qui a décimé sa rédaction, Charlie Hebdo sort un numéro spécial dont la couverture, signée Riss, fait polémique.

L'année dernière, j'ai publié sous le titre "Crétins du Liban", une chronique acérée en réponse à certains chrétiens libanais qui, après avoir découvert que Charlie Hebdo ne se moquait pas uniquement du prophète des autres mais aussi de leur messie à eux, ont déclaré "je ne suis plus Charlie".

Un an plus tard, ce même crétinisme, plus universel que jamais, revient en force, prend du galon et passe en prime time à la télé française.

En France, aujourd'hui, ils semblent être légion, les "je ne suis plus Charlie". Choqués qu'ils ont été par la dernière couverture de l’hebdo martyre.

Un dieu à l'habit ensanglanté, la kalash en bandoulière, quel scandale ! Alors que, c’est bien connu, Il est innocent comme le petit Jésus qui vient de naître, le Père céleste.

Ce sont les hommes qui sont cons, nous dit-on. Ce sont eux qui ne comprennent rien. Qui déforment tout. Qui transforment la poésie lumineuse des Ecritures en propagande haineuse et meurtrière.

Le problème ce n’est pas Dieu, c’est l’humanité. Lost in translation, elle serait, parait-il, l’humanité.

Pourtant, quand on y regarde de plus près, on se rend compte que les textes sacrés des trois monothéismes sont loin d’être une chanson de John Lennon, période flower power. Et que Dieu n'y est pas souvent montré sous son meilleur jour.

Dans ces textes-là, ne raconte-t-on pas que Dieu a anéanti des villes entières avec tous ses habitants – Sodome et Gomorrhe – parce qu’elles étaient pécheresses ? Qu'Il a noyé la Terre et tout ce qui y vivait, en ne sauvant qu’une seule famille – celle de Noé – et un couple de chaque espèce animale ?

Ne lit-on pas qu'Il a ordonné, au mont Sinaï, le massacre de tous ceux qui s’étaient fourvoyé à adorer le veau d’or ? Puis qu'Il a recommencé, en pays de Canaan – malgré les protestations de Moïse – avec l’extermination de populations entières, hommes, femmes, enfants, bétail ?

N’est-il pas écrit que Dieu a décidé du supplice puis du sacrifice de son fils unique – qui ne prêchait pourtant que l’amour ? N'assure-t-on pas, Livre à la main, qu'Il a édicté des règles très strictes et des punitions plus violentes les unes que les autres, comme la flagellation, la décapitation ou la crucifixion ?

Bien sûr qu'il n’y a pas que ça. Bien sûr qu'il y a, dans ces mêmes textes, de nombreux passages sur l’amour du prochain, sur le pardon et la compassion. Des passages où Dieu est miséricordieux, généreux et bienveillant.

Les hommes y puisent ce qu’ils veulent. Certains y puisent le meilleur, d’autres le pire. Mais cela ne veut-il pas dire que le meilleur et le pire s’y côtoient intimement ?

Dans le remarquable et passionnant "Dieu : une biographie", pour lequel il a obtenu le prix Pulitzer, l'auteur américain Jack Miles démontre que dans les Livres hébraïques, Dieu a deux personnalités distinctes, l'une affable et indulgente, et l'autre, violente et vengeresse. "Dieu n'est pas un saint", écrit-il non sans humour.

Il est en est de même dans les Livres qui ont suivi et sur lesquels sont fondés le christianisme et l'islam. Comment alors faire la part des choses quand on est guidé par des personnes malveillantes ou qu'on est sous l'emprise de ses pulsions les plus primitives ? Comment choisir dans ces textes la part la plus humaniste de sa foi et ne pas se reconnaître dans ses aspects les plus sombres ?

Les terroristes qui ont assassiné Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Bernard Maris et leurs camarades se fantasmaient peut-être à l'image de ce dieu vengeur avec lequel on leur a bourré le mou.

Alors croquer ce dieu-là en cavale, n’est finalement pas si scandaleux, surtout de la part d’un journal aussi notoirement anticlérical que Charlie Hebdo.

Personnellement, je n’aime pas ce dessin. Il ne me fait pas rire. Ceci dit, préférant le Charlie des grandes années, les couvertures dessinées par Reiser, Wolinski, Cabu, Gébé ou Siné, et les éditos signés Cavanna ou Delfeil de Ton, je suis loin d’être impartial.

Mais devant cette levée de bouclier, hallucinante d’intolérance, devant cette foule de culs-bénits en colère où se mélangent des gens de gauche comme de droite – parfois extrême, où se retrouvent dans la même indignation si peu charitable des chrétiens, des juifs et des musulmans, je ne peux m'empêcher de prendre la défense de cette regrettable couverture.

Je ne peux m'empêcher non plus de penser qu’à entendre les cris de cette meute d’orfraies, les daechistes de partout doivent se sentir moins seuls.


© Claude El Khal, 2016