La bataille d’Idlib, en prévision de l’accord du siècle


La bataille d’Idlib en Syrie semble avoir commencé. Selon la BBC, cette région est contrôlée par près de 20.000 jihadistes. Silencieux quand ces jihadistes bombardent les civils à Alep, certains gouvernements occidentaux ont soudain exprimé leur "extrême préoccupation".

Le processus politique pour sortir de la guerre en Syrie ne peut commencer qu’après la libération d’Idlib des jihadistes qui la contrôlent. Et toute solution pacifique à Idlib devra immanquablement inclure le transfert hors de Syrie de milliers de jihadistes de diverses nationalités et de leurs familles.

Les gouvernements occidentaux qui réclament une solution pacifique à Idlib suivie d’un processus politique global en Syrie le savent parfaitement. Mais comme aucun pays ne veut officiellement les accueillir, ils préfèrent que ces jihadistes restent sur place pour maintenir l’état de guerre et ainsi empêcher Assad d’en reprendre le contrôle.

Pourquoi est-il si important pour les gouvernements occidentaux, les États-Unis en tête, de garder la région d’Idlib hors du contrôle de Damas? Pourquoi s’emploient-ils à arrêter l’offensive des armées syrienne et russe, et ce faisant à soutenir de facto les jihadistes?

Cette région au nord-ouest de la Syrie a une grande importance stratégique. Frontalière avec la Turquie, elle est à portée de canon d’Alep, deuxième plus grande ville du pays et ancienne capitale économique. Pour Damas, la contrôler signifie mettre fin à la menace quotidienne qui pèse sur Alep et à l’arrêt du va-et-vient de jihadistes étrangers via la frontière turque.

Elle est par conséquent une carte maîtresse pour des négociations futures dans le cadre de l’accord du siècle, le fameux deal of the century – le plan de paix israélo-arabe dont l’administration américaine révèlera les détails en juin. Elle pourrait servir de monnaie d’échange pour obtenir l’abandon syrien du plateau du Golan au profit d’Israël.

En cas d’accord, Damas aurait le feu vert pour prendre Idlib et y liquider les jihadistes syriens alors que les jihadistes étrangers seraient transférés vers d’autres zones de conflits, actuels et à venir, en Asie contre les intérêts chinois ou dans le Caucase contre les intérêts russes.

De leurs côté, Damas et Moscou entendent prendre le contrôle de cette région avant le début des négociations. Damas pour ne pas avoir à renoncer à la souveraineté syrienne sur le Golan en échange d’un territoire aussi stratégique que la région d’Idlib. Moscou pour garder la main en Syrie et empêcher les États-Unis d’utiliser Idlib pour négocier directement avec son allié syrien. Sans Idlib, c’est à dire privés d’un territoire qu’ils peuvent utiliser comme monnaie d’échange, les États-Unis n’auraient d’autre choix que de recourir à une médiation russe pour négocier avec Assad.

De plus, la Russie ne veut pas que des jihadistes soient transférés vers d’autres zones stratégiques. En prenant Idlib aux côtés de l’armée syrienne, elle serait en position de décider du sort de ceux qui auraient survécu.

Les 3 millions de civils vivant à Idlib vont inévitablement et malheureusement payer le prix d’une partie d’échec d’un cynisme effroyable dont l’issue pour les États-Unis est l’implémentation du deal of the century – qui verrait disparaître définitivement la Palestine historique et assurerait, en lui cédant les terres arabes occupées, la suprématie d’Israël au Moyen-Orient.


© Claude El Khal, 2019