Gentleman acteur



Bouleversé par la pluie d’hommages à Adama dans les médias français, britanniques, espagnols, allemands, par les mots émouvants de ses camarades acteurs, des metteurs en scène et des réalisateurs qui ont eu la chance de travailler avec lui.
 
Une petite voix agaçante, et agacée, me geint dans l’oreille: ils auraient pu se réveiller plus tôt, il a si longtemps galéré, tu as oublié quand il était obligé, vers la fin des années 2000, de faire le coursier pour pouvoir manger, tu as oublié sa détresse, le silence dans lequel il s’enfermait?

Mais je lui impose de se taire à cette petite voix. Ta gueule, je lui dis, ta gueule, je ne veux pas t’entendre, pas aujourd’hui, pas demain, pas avant longtemps. Ces hommages ne sont pas seulement un baume sur nos cœurs déchirés, nous ses amis, nous qui l’avons connu et aimé avant tout ça, c’est aussi un bonheur de le voir célébrer comme il le mérite. Comme son talent, sa ferveur, sa passion le méritent. Comme le mérite cette générosité, si souvent extrême, qu’il mettait dans chaque rôle, petit ou grand, qu’on lui offrait.

Oui il a galéré. Évidemment. Oui c’est injuste. Évidement. Mais tout est injuste dans tout ça. Il n’y a rien de juste dans cette histoire. Rien. Absolument rien. Sauf ces mots qu’on peut lire un peu partout, ces petits bonheurs, ces quelques réconforts entre les larmes qu’on retient et celles qu’on n’arrive pas à empêcher.

Alors oui ta gueule la petite voix, ta gueule et laisse-nous les savourer ces mots. Comme ceux d’Omar Sy, son partenaire dans Lupin: "immense acteur au côté duquel j’ai eu la chance et le plaisir de jouer. Un homme d’une bienveillance rare…" Et ceux d’Olivier Abbou qui l’a dirigé dans Furie: "Il était engagé, allumé, entier, talentueux, puissant. Il a été mon héros, un ami, un complice." Et cet anonyme sur twitter qui a écrit: "Son regard va nous manquer." Une seule phrase qui résume tant… Et puis ce titre que lui donne le journal Le Monde. Ce titre si juste, qui lui sied si bien, qui illustre parfaitement sa façon d’être, de faire, de bouger, de parler, de jouer: "gentleman acteur".

Adama Niane, gentleman acteur. Voilà. C’est toi. 

Pas c’était. C’est. Impossible de parler de toi au passé. Les acteurs, le passé ça ne les connaît pas. C’est toujours là, un acteur. Tant qu’il y a de la pellicule, tant qu’il y des bandes magnétiques, tant qu’il y a le numérique, tant qu’il y a le réel et le virtuel. Ça vit au-delà de la vie, un acteur. C’est aussi ça sa magie.
 
"Adama Niane, gentleman acteur". 

On dirait les premiers mots d’une légende. Une bien belle légende.


© Claude El Khal, 2023