Entre Washington et Tel Aviv, une alliance périssable


Les israéliens devraient se souvenir que les USA n’ont pas toujours été de leur côté, et que ça pourrait parfaitement recommencer.

En 1956, quand Nasser a nationalisé le canal de Suez, l’Egypte a été attaquée par la France, la Grande Bretagne et Israël. Les USA sont intervenus contre cette alliance tripartite et l’ont mise en échec. Les intérêts américains d’alors étaient de réduire l’influence des anciennes puissances coloniales européennes au Moyen-Orient et de la remplacer par la leur. Israël avait mal choisi ses alliés, il en paya le prix.

Ce n’est qu’après la guerre de juin 67, quand Israël a prouvé sa prédominance militaire face aux armées arabes que les USA ont décidé de s’y investir totalement.

À l’époque, le rôle de principale base militaire américaine au Moyen-Orient était assigné à l’Iran. Le Shah était un allié fidèle et obéissant, mais son régime policier était largement contesté.

Washington devait trouver une alternative en cas de besoin. Le jeune État hébreu qui avait imposé par la force son existence au reste de la région était le candidat idéal à la succession de l’Iran. les USA ont donc massivement investi en Israël, et l’ont progressivement modelé à leur image.

Au fil des ans, gorgé d’argent et d’armement américains, Israël s’est peu à peu éloigné de son nationalisme utopiste originel pour devenir un clone économique et sociétal des USA. Quand le Shah ne put plus tenir son pays, il fut tout simplement abandonné à son sort, et Israël remplaça l’Iran comme principale base militaire américaine au Moyen-Orient.

Ce rôle, Israël n’était pas autorisé à s’en éloigner ou pire: à en changer. Tous les dirigeants israéliens qui ont tenté de tenir tête à Washington ont été défaits dans la rue ou dans les urnes.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre le soutien inconditionnel de Washington à Tel Aviv dans toutes les instances internationales, malgré les innombrables et flagrantes violations israéliennes du droit international. On n’affaiblit pas ses propres bases militaires, même pour faire de la diplomatie-spectacle.

Puis vint la guerre de juillet 2006, qui allait représenter un tournant. La donne allait commencer à changer.

Les USA ont chargé Israël d’en finir avec le Hezbollah, principal obstacle à leur hégémonie totale sur la scène libanaise, après le retrait de l’armée syrienne quelques mois plus tôt. Cette guerre s’est soldée par un échec retentissant. L’armée israélienne a été incapable de vaincre le Hezbollah, qui en est sorti renforcé.

Peu après cet échec, les USA ont annoncé la construction de leur deuxième plus grande ambassade du monde au Liban, un gigantesque complexe “militaro-diplomatique” au nord de Beyrouth.

Pourquoi ce choix? Pourquoi préférer un pays où ils doivent partager leur influence avec leur adversaire iranien (parrain du Hezbollah) au terrain conquis et acquis qu’est Israël? Pourquoi ce choix si les USA étaient convaincus de la pérennité de la puissance militaire israélienne? Voire sa pérennité en tant qu’État…

La position géographique de l’État d’Israël, à la croisée de l’Orient et de l’Occident ainsi qu’a la croisée de l’Asie et de l’Afrique, est d’une importance stratégique majeure pour les USA. C’est la seule chose qui compte à leurs yeux. Ils se moquent éperdument de l’identité du pays qui leur sert de base militaire. Seules leur importe sa docilité et sa capacité à tenir le rôle qui lui est assigné.

La défaite humiliante infligée par le Hamas à Israël ne sera pas sans conséquence sur le maintien du soutien inconditionnel américain. Malgré les grands discours et les belles promesses, les USA abandonneront Israël quand ils jugeront que ce dernier ne leur est plus utile. Quand un autre pays répondant aux mêmes impératifs géostratégiques sera “disponible”.

Plus le gouvernement israélien s’engagera dans la guerre contre les Palestiniens, voir contre le Liban et la Syrie, plus il risquera une défaite militaire dont il ne pourra se remettre. Cette défaite le verra très certainement être déserté par son parrain américain. Comme fut déserté le Shah d’Iran quelques décennies plus tôt.

D’ailleurs, l’envoi du plus gros porte-avion US accompagné d’une importante armada pour soutenir Israël contre le Hamas n’est rien d’autre que la reconnaissance américaine de la faiblesse militaire israélienne. Washington admet ainsi ouvertement qu’Israël n’est plus capable de se protéger tout seul, et donc de jouer pleinement le rôle qui lui est assigné.

Sans le soutien de Washington, et malgré son arsenal nucléaire, l’État d’Israël ne pourra pas longtemps survivre dans un environnement qui lui est hostile.

La seule chance qu’il a d’assurer sa pérennité est de faire la paix avec ses voisins. Une paix juste, fondée sur le principe de deux États pleinement souverains, l’un israélien et l’autre palestinien avec Jérusalem pour capitale, le retour des réfugiés palestiniens sur leur terre ancestrale, même à l’intérieur des frontières israéliennes, et le retrait inconditionnel des territoires libanais et syriens occupés.

L’Histoire a démontré à de nombreuses reprises qu’être un instrument des USA menait irrémédiablement à une fin malheureuse. La société israélienne devrait s’en souvenir et agir en conséquence.

© Claude El Khal, 2023